EIV - Proposition 45 - corollaire 2 - scolie

  • 17 juin 2004

Entre la Raillerie (que j’ai dit être mauvaise dans le Coroll. 1) et le rire, je fais une grande différence. Car le rire, comme aussi la plaisanterie, est une pure joie et, par suite, pourvu qu’il soit sans excès, il est bon par lui-même (Prop. 41). Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs. En quoi, en effet, convient-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Telle est ma règle, telle ma conviction. Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’impuissance intérieure ; au contraire, plus grande est la Joie dont nous sommes affectés, plus grande la perfection à laquelle nous passons, plus il est nécessaire que nous participions de la nature divine. Il est donc d’un homme sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’on le peut (sans aller jusqu’au dégoût, ce qui n’est plus prendre plaisir). Il est d’un homme sage, dis-je, de faire servir à sa réfection et à la réparation de ses forces des aliments et des boissons agréables pris en quantité modérée, comme aussi les parfums, l’agrément des plantes verdoyantes la parure, la musique, les jeux exerçant le Corps, les spectacles et d’autres choses de même sorte dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. Le Corps humain en effet est composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée, pour que le Corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature et que l’Âme soit également apte à comprendre à la fois plusieurs choses. Cette façon d’ordonner la vie s’accorde ainsi très bien et avec nos principes et avec la pratique en usage ; nulle règle de vie donc n’est meilleure et plus recommandable à tous égards, et il n’est pas nécessaire ici de traiter ce point plus clairement ni plus amplement. [*]


Inter irrisionem (quam in I corollario malam esse dixi) et risum magnam agnosco differentiam. Nam risus ut et jocus mera est lætitia adeoque modo excessum non habeat, per se bonus est (per propositionem 41 hujus). Nihil profecto nisi torva et tristis superstitio delectari prohibet. Nam qui magis decet famem et sitim extinguere quam melancholiam expellere ? Mea hæc est ratio et sic animum induxi meum. Nullum numen nec alius nisi invidus mea impotentia et incommodo delectatur nec nobis lacrimas, singultus, metum et alia hujusmodi quæ animi impotentis sunt signa, virtuti ducit sed contra quo majore lætitia afficimur eo ad majorem perfectionem transimus hoc est eo nos magis de natura divina participare necesse est. Rebus itaque uti et iis quantum fieri potest delectari (non quidem ad nauseam usque nam hoc delectari non est) viri est sapientis. Viri inquam sapientis est moderato et suavi cibo et potu se reficere et recreare ut et odoribus, plantarum virentium amœnitate, ornatu, musica, ludis exercitatoriis, theatris et aliis hujusmodi quibus unusquisque absque ullo alterius damno uti potest. Corpus namque humanum ex plurimis diversæ naturæ partibus componitur quæ continuo novo alimento indigent et vario ut totum corpus ad omnia quæ ex ipsius natura sequi possunt, æque aptum sit et consequenter ut mens etiam æque apta sit ad plura simul intelligendum. Hoc itaque vivendi institutum et cum nostris principiis et cum communi praxi optime convenit ; quare si quæ alia, hæc vivendi ratio optima est et omnibus modis commendanda nec opus est de his clarius neque prolixius agere.


[*(Saisset :) Entre la dérision (que j’ai appelée passion mauvaise dans le Coroll. 1) et le rire, je reconnais une grande différence ; car le rire, comme le badinage, est un pur sentiment de joie ; par conséquent il ne peut avoir d’excès et de soi il est bon (par la Propos. 41). En quoi, en effet, est-il plus convenable de soulager sa faim ou sa soif que de chasser la mélancolie ? Telle est du moins ma manière de voir, quant à moi, et j’ai disposé mon esprit en conséquence. Aucune divinité, ni qui que ce soit, excepté un envieux, ne peut prendre plaisir au spectacle de mon impuissance et de mes misères, et m’imputer à bien les larmes, les sanglots, la crainte, tous ces signes d’une âme impuissante. Au contraire, plus nous avons de joie, plus nous acquérons de perfection ; en d’autres termes, plus nous participons nécessairement à la nature divine. Il est donc d’un homme sage d’user des choses de la vie et d’en jouir autant que possible (pourvu que cela n’aille pas jusqu’au dégoût, car alors ce n’est plus jouir). Oui, il est d’un homme sage de se réparer par une nourriture modérée et agréable, de charmer ses sens du parfum et de l’éclat verdoyant des plantes, d’orner même son vêtement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne. En effet, le corps humain se compose de plusieurs parties de différente nature, qui ont continuellement besoin d’aliments nouveaux et variés, afin que le corps tout entier soit plus propre à toutes les fonctions qui résultent de sa nature, et par suite, afin que l’âme soit plus propre, à son tour, aux fonctions de la pensée. Cette règle de conduite que nous donnons est donc en parfait accord et avec nos principes, et avec la pratique ordinaire. Si donc il y a des règles différentes, celle-ci est la meilleure et la plus recommandable de toutes façons, et il n’est pas nécessaire de s’expliquer sur ce point plus clairement et avec plus d’étendue.

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