EV - Proposition 4 - scolie

  • 30 juin 2004

Puisqu’il n’y a rien d’où ne suive quelque effet (Prop. 36, p. I) et que nous connaissons clairement et distinctement (Prop. 40, p. II) tout ce qui suit d’une idée qui est adéquate en nous, il suit de là que chacun a le pouvoir de se connaître lui-même et de connaître ses affections, sinon absolument, du moins en partie, clairement et distinctement et de faire en conséquence qu’il ait moins à en pâtir. A cela nous devons travailler surtout, à connaître, veux-je dire, autant que possible chaque affection clairement et distinctement, de façon que l’Âme soit déterminée par chaque affection à penser ce qu’elle perçoit clairement et distinctement, et où elle trouve un plein contentement ; et pour qu’ainsi l’affection elle-même soit séparée de la pensée d’une cause extérieure et jointe à des pensées vraies ; par où il arrivera que non seulement l’Amour, la Haine, etc., seront détruits (Prop. 2), mais que l’appétit aussi et les Désirs naissant habituellement de cette affection ne pourront avoir d’excès (Prop. 61, p. IV). Car il faut noter avant tout que c’est un seul et même appétit par lequel l’homme est dit également bien actif et passif. Par exemple, nous avons montré qu’en vertu d’une disposition de la nature humaine chacun appète que les autres vivent selon sa propre complexion (Scolie de la Prop. 31, p. III [1]) ; dans un homme qui n’est pas dirigé par la Raison, cet appétit est une passion appelée Ambition et qui ne diffère guère de l’Orgueil ; au contraire, dans un homme qui vit suivant le commandement de la Raison, c’est une action, c’est-à-dire une vertu appelée Moralité (voir Scol. 1 de la Prop. 37, p. IV, et démonstration 2 de cette même Prop.). Et de cette manière tous les appétits, ou Désirs, sont des passions en tant seulement qu’ils naissent d’idées inadéquates ; et ces mêmes mêmes Désirs sont tenus pour vertus quand ils sont excités ou engendrés par des idées adéquates. Tous les Désirs en effet, par ou nous sommes déterminés à faire quelque chose, peuvent naître aussi bien d’idées adéquates que d’inadéquates (Prop. 59, p. IV). Et, pour revenir au point d’où je me suis écarté dans cette digression, outre ce remède aux affections qui consiste dans leur connaissance vraie, on n’en peut concevoir aucun autre plus excellent qui soit en notre pouvoir, puisqu’il n’y a d’autre puissance de l’Âme que celle de penser et de former des idées adéquates, ainsi que (Prop. 3, p. III) nous l’avons montré précédemment. [*]


Quandoquidem nihil datur ex quo aliquis effectus non sequatur (per propositionem 36 partis I) et quicquid ex idea quæ in nobis est adæquata, sequitur, id omne clare et distincte intelligimus (per propositionem 40 partis II) hinc sequitur unumquemque potestatem habere se suosque affectus, si non absolute, ex parte saltem clare et distincte intelligendi et consequenter efficiendi ut ab iisdem minus patiatur. Huic igitur rei præcipue danda est opera ut unumquemque affectum quantum fieri potest clare et distincte cognoscamus ut sic mens ex affectu ad illa cogitandum determinetur quæ clare et distincte percipit et in quibus plane acquiescit atque adeo ut ipse affectus a cogitatione causæ externæ separetur et veris jungatur cogitationibus ; ex quo fiet ut non tantum amor, odium etc. destruantur (per propositionem 2 hujus) sed ut etiam appetitus seu cupiditates quæ ex tali affectu oriri solent, excessum habere nequeant (per propositionem 61 partis IV). Nam apprime notandum est unum eundemque esse appetitum per quem homo tam agere quam pati dicitur. Exempli gratia cum natura humana ita comparatum esse ostendimus ut unusquisque appetat ut reliqui ex ipsius ingenio vivant (vide corollarium propositionis 31 partis III) qui quidem appetitus in homine qui ratione non ducitur, passio est quæ ambitio vocatur nec multum a superbia discrepat et contra in homine qui ex rationis dictamine vivit, actio seu virtus est quæ pietas appellatur (vide scholium I propositionis 37 partis IV et II demonstrationem ejusdem propositionis). Et hoc modo omnes appetitus seu cupiditates eatenus tantum passiones sunt quatenus ex ideis inadæquatis oriuntur atque eædem virtuti accensentur quando ab ideis adæquatis excitantur vel generantur. Nam omnes cupiditates quibus ad aliquid agendum determinamur, tam oriri possunt ab adæquatis quam ab inadæquatis ideis (vide propositionem 59 partis IV). Atque hoc (ut eo unde digressus sum revertar) affectuum remedio quod scilicet in eorum vera cognitione consistit, nullum præstantius aliud quod a nostra potestate pendeat, excogitari potest quandoquidem nulla alia mentis potentia datur quam cogitandi et adæquatas ideas formandi, ut supra (per propositionem 3 partis III) ostendimus.


[1ou plutôt : EIII31cor

[*(Saisset :) Puisqu’il n’y a rien d’où ne résulte quelque effets (par la Propos. 36, part. 1), et puisque tout ce qui résulte d’une idée qui est adéquate dans notre âme est toujours compris d’une façon claire et distincte (par la Propos. 40, part. 2), il s’ensuit que chacun de nous a le pouvoir de se former de soi-même et de ses passions une connaissance claire et distincte, sinon d’une manière absolue, au moins d’une façon partielle, et par conséquent chacun peut diminuer dans son âme l’élément de la passivité. Tous les soins de l’homme doivent donc tendre vers ce but, savoir, la connaissance la plus claire et la plus distincte possible de chaque passion ; car il en résultera que l’âme sera déterminée à aller de la passion qui l’affecte à la pensée des objets qu’elle perçoit clairement et distinctement, et où elle trouve un parfait repos ; et par suite, la passion se trouvant séparée de la pensée d’une cause extérieure et jointe à des pensées vraies, l’amour, la haine, etc., disparaîtront aussitôt (par la Propos. 2) ; et en outre les appétits, les désirs qui en sont la suite ordinaire ne pourront plus avoir d’excès (par la Propos. 61, part. 4). Remarquons en effet que c’est par un seul et même appétit que l’homme agit et qu’il pâtit. Par exemple, la nature humaine est ainsi faite que tout homme désire que les autres vivent suivant son humeur particulière (par le Coroll. de la Propos. 31, part. 3). Or, cet appétit, quand il n’est pas conduit par la raison, est une affection passive qui s’appelle ambition et ne diffère pas beaucoup de l’orgueil, tandis qu’au contraire cet appétit est un principe actif dans un homme que la raison conduit, et une vertu, qui est la piété (voyez le Scol. 1 de la Propos. 37, part. 4, et la 2e Démonstr. de cette même Propos.). Et de même, tous les appétits, tous les désirs ne sont des passions proprement dites qu’en tant qu’elles naissent d’idées inadéquates ; mais en tant qu’ils sont excités et produits par des idées adéquates, ce sont des vertus. Or, tous les désirs qui nous déterminent à l’action peuvent naître aussi bien d’idées adéquates que d’idées inadéquates (voyez la Propos. 59, part. 4). Ainsi donc, pour revenir au point d’où je me suis un peu écarté, ce remède contre le dérèglement des passions, qui consiste à s’en former une connaissance vraie, est le meilleur emploi qu’il nous soit donné de faire de notre puissance, puisque toute la puissance de l’âme se réduit à penser et à former des idées adéquates, comme on l’a fait voir ci-dessus (voyez la Propos. 3, part. 3).

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