Lettre 04 - Spinoza à Oldenburg

  • 21 juillet 2005


à Monsieur Henri Oldenburg,

B. de Spinoza.

RÉPONSE A LA PRÉCÉDENTE

Monsieur,

Au moment d’aller à Amsterdam pour y passer une semaine ou deux, j’ai eu le plaisir de recevoir votre lettre, et j’ai vu les objections que vous élevez contre les trois propositions que je vous ai envoyées. C’est à ces objections seulement que j’essaierai de répondre, laissant les autres points de côté faute de temps. Je dirai donc, en ce qui concerne la première objection, que de la définition d’une chose quelconque ne suit pas l’existence de cette chose ; cela suit seulement (comme je l’ai démontré dans le scolie joint aux trois propositions) de la définition ou de l’idée d’un attribut, c’est-à-dire (ainsi que je l’ai amplement expliqué à propos de la définition de Dieu) d’une chose qui se conçoit par elle-même et en elle-même. J’ai d’ailleurs dans le même scolie justifié cette différence assez clairement, sauf erreur, surtout pour un philosophe. Car il est supposé ne pas ignorer la différence qui existe entre une fiction et un concept clair et distinct, non plus que la vérité de cet axiome suivant lequel est vraie toute définition, c’est-à-dire toute idée claire et distincte. Sous le bénéfice de ces observations je ne vois pas que ma réponse à la première question laisse rien à désirer. Je passe donc à la deuxième. Vous y semblez accorder que, si la pensée n’appartient pas à la nature de l’Étendue, alors l’Étendue ne pourra être limitée par la Pensée, car votre doute n’a de raison d’être que l’exemple donné. Mais notez ceci, je vous prie : si l’on dit que l’Étendue n’est pas limitée par l’Étendue mais par la Pensée, cela ne revient-il pas à dire que l’Étendue n’est pas infinie absolument mais seulement en tant qu’Étendue ? On m’accorde donc que l’Étendue n’est pas infinie absolument mais seulement en son genre. Mais, dites-vous, peut-être la pensée est-elle un acte du corps. Soit, bien que je ne l’accorde nullement ; du moins ne nierez-vous pas que l’Étendue en tant qu’Étendue n’est pas la Pensée et cela suffit pour expliquer ma définition et démontrer la troisième proposition. Vous objectez en outre, en troisième lieu, que les axiomes que j’ai énoncés ne doivent pas être mis au nombre des vérités premières. Sur ce point je ne discute pas. Mais vous semblez douter de leur vérité et même vouloir montrer que les affirmations contraires sont plus vraisemblables. Veuillez prendre garde cependant à la définition que j’ai donnée de la substance et de l’accident, définition d’où je tire toutes ces conclusions. Puisqu’en effet j’entends par substance ce qui se conçoit par soi, et en soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’enveloppe le concept d’aucune autre chose, par modification ou accident, ce qui est en autre chose et se conçoit par cette autre chose, il est manifeste : 1° Qu’une substance est antérieure en nature à ses accidents ; 2° Que hormis les substances et les accidents rien n’existe dans la réalité, c’est-à-dire en dehors de l’entendement. Car toute chose existante se conçoit ou par elle-même ou par quelque autre, et son concept enveloppe ou n’enveloppe pas le concept d’une autre chose ; 3° Que des choses qui ont des attributs différents n’ont rien de commun entre elles. Car l’attribut tel que je l’ai défini est ce dont le concept n’enveloppe pas le concept d’une autre chose ; 4° Enfin que si deux choses n’ont rien de commun entre elles, l’une ne peut être cause de l’autre. Puisqu’en effet il n’y aurait rien dans l’effet qui lui fût commun avec la cause, il devrait tirer du néant tout ce qu’il aurait.

Quant à ce que vous dites que Dieu n’a rien de commun formellement avec les choses créées, etc., j’ai posé le contraire dans ma définition. J’ai dit en effet : Dieu est un être qui se compose d’une infinité d’attributs dont chacun est infini, c’est-à-dire souverainement parfait en son genre. Pour ce que vous objectez à ma première proposition, veuillez considérer, mon ami, que les hommes ne sont pas créés, mais seulement engendrés et que leurs corps existaient antérieurement bien que formés d’autre sorte. Ce qui se conclut réellement c’est que, si une seule partie de la matière était anéantie, tout aussitôt l’Étendue entière s’évanouirait, et cela je le professe expressément. Quant à la deuxième proposition elle crée non pas beaucoup de Dieux, mais un seul, composé d’une infinité d’attributs, etc.


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