Traité politique, II, §02

  • 26 septembre 2004


Toute chose naturelle peut être conçue adéquatement, qu’elle existe ou n’existe pas. Toutefois le principe en vertu duquel les choses naturelles existent et persévèrent dans leur existence, ne peut se conclure de leur définition, car leur essence idéale reste après qu’elles ont commencé d’exister [1] , la même qu’avant qu’elles existassent. Puis donc que le principe par lequel elles existent ne peut suivre de leur essence, le maintien de leur existence n’en découle pas non plus ; elles ont besoin pour continuer d’être de la même puissance qui était nécessaire pour qu’elles commençassent d’exister. De là cette conséquence que la puissance par laquelle les choses de la nature existent et aussi agissent, ne peut être aucune autre que la puissance éternelle de Dieu [2]. Si quelque autre puissance avait été créée en effet, elle ne pourrait pas se conserver elle-même et par suite elle ne pourrait pas non plus conserver les choses naturelles, mais elle-même aurait besoin pour persévérer dans l’existence, de la même puissance qui était nécessaire pour qu’elle fût créée [3].


Traduction Saisset :

Toutes les choses de la nature peuvent être également conçues d’une façon adéquate, soit qu’elles existent, soit qu’elles n’existent pas. De même donc que le principe en vertu duquel elles commencent d’exister ne peut se conclure de leur définition, il en faut dire autant du principe qui les fait persévérer dans l’existence. En effet, leur essence idéale, après qu’elles ont commencé d’exister, est la même qu’auparavant ; par conséquent, le principe qui les fait persévérer dans l’existence ne résulte pas plus de leur essence que le principe qui les fait commencer d’exister ; et la même puissance dont elles ont besoin pour commencer d’être, elles en ont besoin pour persévérer dans l’être. D’où il suit que la puissance qui fait être les choses de la nature, et par conséquent celle qui les fait agir, ne peut être autre que l’éternelle puissance de Dieu. Supposez, en effet, que ce fût une autre puissance, une puissance créée, elle ne pourrait se conserver elle-même, ni par conséquent conserver les choses de la nature ; mais elle aurait besoin pour persévérer dans l’être de la même puissance qui aurait été nécessaire pour la créer.


Res quaecumque naturalis potest adaequate concipi, sive existat sive non existat. Ut igitur rerum naturalium existendi principium, sic earum in existendo perseverantia ex earum definitione non potest concludi. Nam earum essentia idealis eadem est, postquam existere inceperunt, quam antequam existerent. Ut ergo earum existendi principium ex earum essentia sequi nequit, sic nec earum in existendo perseverantia ; sed eadem potentia, qua indigent ut existere incipiant, indigent ut existere pergant. Ex quo sequitur, rerum naturalium potentiam, qua existunt, et consequenter qua operantur, nullam aliam esse posse, quam ipsam Dei aeternam potentiam. Nam si quae alia creata esset, non posset seipsam, et consequenter neque res naturales conservare ; sed ipsa etiam eadem potentia, qua indigeret ut crearetur, indigeret ut in existendo perseveraret.


[3Sur la puissance de Dieu et ses rapports avec la puissance des choses, voyez EII - Proposition 3 - scolie et EIII - Proposition 6

Dans la même rubrique

Traité politique, II, §01

Nous avons traité dans notre Traité Théologico-Politique du droit naturel et du droit civil, et dans notre Éthique nous avons expliqué ce qu’est (...)

Traité politique, II, §03

Sachant donc que la puissance par laquelle existent et agissent les êtres de la nature est la puissance même de Dieu, nous connaissons (...)

Traité politique, II, §04

Par droit de nature, donc, j’entends les lois mêmes ou règles de la Nature suivant lesquelles tout arrive, c’est-à-dire la puissance même de la (...)

Traité politique, II, §05

Si donc la nature humaine était disposée de telle sorte que les hommes vécussent suivant les seules prescriptions de la raison, et si tout leur (...)

Traité politique, II, §06

La plupart cependant croient que les insensés troublent l’ordre de la nature plutôt qu’ils ne le suivent, et la plupart aussi conçoivent les (...)

Traité politique, II, §07

Personne ne peut nier que l’homme, comme les autres individus, s’efforce à conserver son être. Si l’on pouvait concevoir quelques différences, (...)

Traité politique, II, §08

Nous concluons donc qu’il n’est pas au pouvoir de chaque homme d’user toujours de la raison et de se maintenir au faîte de la liberté humaine ; (...)

Traité politique, II, §09

Il suit encore de ce qui précède, que chacun est dans la dépendance d’un autre aussi longtemps qu’il est soumis au pouvoir de cet autre, et (...)

Traité politique, II, §10

Celui-là tient un autre en son pouvoir, qui le tient enchaîné, ou à qui il a pris toutes ses armes, tout moyen de se défendre et d’échapper, ou (...)

Traité politique, II, §11

La faculté de juger peut être soumise à la volonté d’un autre dans la mesure où l’âme peut être trompée par cet autre ; d’où suit que l’âme (...)

Traité politique, II, §12

L’engagement pris en parole envers quelqu’un de faire ou au contraire de ne pas faire telle ou telle chose quand on a le pouvoir d’agir (...)

Traité politique, II, §13

Si deux personnes s’accordent entre elles et unissent leurs forces, elles auront plus de pouvoir ensemble et conséquemment un droit supérieur (...)

Traité politique, II, §14

En tant que les hommes sont en proie à la colère, à l’envie, ou à quelque sentiment de haine, ils sont entraînés à l’opposé les uns des autres (...)

Traité politique, II, §15

Comme (suivant le § 9 de ce chapitre) à l’état naturel chacun est son propre maître aussi longtemps qu’il peut se garder de façon à ne pas subir (...)

Traité politique, II, §16

Quand des hommes ont des droits communs et que tous sont conduits comme par une seule pensée, il est certain (par le § 13 de ce chapitre) que (...)

Traité politique, II, §17

Ce droit que définit la puissance du nombre, on a coutume de l’appeler pouvoir public, et celui-là possède absolument ce pouvoir, qui, par la (...)

Traité politique, II, §18

On voit clairement par ce que nous venons de montrer dans ce chapitre, que dans l’état de nature il n’y a point de péché, ou bien, si quelqu’un (...)

Traité politique, II, §19

Le péché donc ne peut se concevoir que dans un État, c’est-à-dire s’il a été décidé en vertu du droit de commander qui appartient à la (...)

Traité politique, II, §20

Nous avons coutume cependant d’appeler aussi péché ce qui se fait contrairement à l’injonction de la saine raison, et obéissance une volonté (...)

Traité politique, II, §21

Toutefois comme la raison enseigne à pratiquer la moralité, à vivre dans la tranquillité et la paix intérieure, ce qui n’est possible que s’il y (...)

Traité politique, II, §22

Pour ce qui touche à la religion, il est certain que l’homme est d’autant plus libre et d’autant plus d’accord avec lui-même, qu’il aime Dieu (...)

Traité politique, II, §23

De même donc que le péché et l’obéissance (au sens strict) ne peuvent se concevoir que dans un État, de même la justice et l’injustice. Il n’y a (...)

Traité politique, II, §24

Quant à la louange et au blâme, nous l’avons expliqué dans notre Éthique, ce sont des sentiments de joie ou de tristesse qu’accompagne comme (...)