Traité politique, IX, §06

  • 15 mai 2005


Au reste cette Assemblée générale n’aura pas à être convoquée à moins qu’il n’y ait à réformer l’État lui-même, ou dans une affaire difficile de la solution de laquelle les sénateurs se jugent incapables. Il sera donc très rare que tous les patriciens soient convoqués à l’Assemblée. Le principal office de cette Assemblée suprême, nous l’avons dit (§ 17 du chapitre précédent), est d’établir et d’abroger des lois et ensuite de nommer les fonctionnaires de l’État. Mais les lois, celles du moins qui sont communes à tout l’État, une fois établies, ne doivent pas être changées ; si cependant les circonstances font qu’une loi nouvelle doive être instituée, ou qu’il y ait lieu d’en modifier une existante, c’est dans le Sénat d’abord que cette question sera examinée, et une fois que les sénateurs se seront mis d’accord, des émissaires seront envoyés par le Sénat lui-même aux différentes villes et ils exposeront aux patriciens de chaque ville l’opinion du Sénat. Si la majorité des villes s’y rallie, elle sera tenue pour adoptée, sinon elle sera rejetée. On pourra conserver la procédure déjà décrite pour le choix des chefs de l’armée et des ambassadeurs à envoyer à l’étranger comme aussi concernant la décision de faire la guerre et les conditions de paix à accepter. Mais pour le choix des autres fonctionnaires de l’État, comme (d’après le § 4 de ce chapitre) chaque ville doit rester autonome autant que faire se peut, et avoir dans l’État autant de droit, on procédera comme il suit : les patriciens de chaque ville éliront des sénateurs, c’est-à-dire que leur Assemblée désignera pour siéger au Sénat un certain nombre d’entre eux qui devra être avec le nombre total des patriciens dans le rapport de 1 à 12 (voir le § 30 du chapitre précédent). Cette Assemblée désignera aussi ceux qui feront partie de la première série [1], de la deuxième, de la troisième, etc. Ainsi les patriciens de chaque ville, suivant son importance, nommeront un plus ou moins grand nombre de sénateurs et les répartiront en autant de séries que nous avons dit que le Sénat devait en comprendre (voir le § 34 du chapitre précédent). Il arrivera ainsi que, dans chaque série, chacune des villes aura un nombre de représentants en rapport avec son importance. Quant aux présidents des séries et à leurs suppléants, dont le nombre est moindre que celui des villes, ils seront élus par le Sénat et par les Consuls eux-mêmes, tirés au sort. On observera la même procédure pour l’élection des membres du tribunal suprême, c’est-à-dire qu’il y aura pour chaque ville plus ou moins de patriciens désignés suivant que la ville sera plus ou moins grande. Et de la sorte chaque ville restera, autant que faire se peut, autonome dans le choix des fonctionnaires publics et chacune aura d’autant plus de pouvoir dans le Sénat et dans le Tribunal qu’elle sera plus puissante ; étant entendu que, dans les décisions à prendre sur les affaires publiques et dans le règlement des litiges, la procédure suivie sera précisément celle que nous avons exposée aux §§ 33 et 34 du chapitre précédent.


Traduction Saisset :

Au reste, dans un tel empire on ne devra pas convoquer le grand conseil à moins qu’il ne s’agisse de réformer l’empire lui-même, ou de quelque affaire difficile que les sénateurs ne se croiront pas capables de mener à bien ; et de cette façon les patriciens de toutes les villes seront très-rarement réunis en conseil. Le principal devoir du conseil suprême, comme nous l’avons dit (article 17 du précédent chapitre), est d’établir et d’abroger les lois, puis d’élire les fonctionnaires publics. Mais les lois ou les droits communs de l’empire ne doivent pas être changés, quand il y a peu de temps qu’ils ont été établis. Cependant, si le temps et les circonstances exigent l’établissement de quelque droit nouveau ou la réforme d’un droit établi, le Sénat peut prendre l’initiative de ce changement, et quand l’accord s’est établi parmi ses membres, déléguer dans les villes des envoyés chargés de faire connaître sa décision aux patriciens de chaque ville ; si le plus grand nombre des villes se range à l’avis d’un Sénat, il est ratifié ; dans le cas contraire, il est annulé. On peut suivre le même ordre dans le choix des généraux d’armée et des ambassadeurs, comme dans les décrets à rendre pour déclarer la guerre ou accepter des conditions de paix. Quant à l’élection des autres fonctionnaires de l’empire, comme chaque ville doit user de son droit autant qu’il est possible (nous l’avons fait voir à l’article 4 de ce chapitre->1211]), et avoir dans l’empire un droit d’autant plus étendu qu’elle est plus puissante, voici l’ordre qu’il faudra suivre nécessairement. Les sénateurs seront élus par les patriciens de chaque ville, c’est-à-dire que les patriciens d’une ville éliront parmi leurs collègues un nombre de sénateurs qui sera au nombre total des patriciens comme 1 est à 12 (voir l’article 30 du chapitre précédent), et ils désigneront ceux qui doivent faire partie du premier ordre, ceux du second et ceux du troisième. Les patriciens des autres villes éliront de même, selon leur nombre, plus ou moins de sénateurs, qu’ils diviseront en autant d’ordres qu’il doit y en avoir dans le Sénat (voir l’article 34 du chapitre précédent). Ainsi dans chaque ordre de sénateurs chaque ville en aura un plus ou moins grand nombre en rapport avec son importance. Quant aux présidents des ordres et à leurs vice-présidents, dont le nombre est moindre que celui des villes, ils seront tirés au sort par le Sénat parmi les consuls élus. On suivra encore le même ordre pour l’élection des juges suprêmes de l’empire : les patriciens de chaque ville éliront parmi leurs collègues plus ou moins de juges, suivant leur nombre. Chaque ville usera ainsi de son droit autant qu’il est possible dans l’élection des fonctionnaires, et elle aura, soit dans le Sénat, soit dans la Magistrature, un droit d’autant plus étendu qu’elle sera plus puissante ; pourvu toutefois que le rôle du Sénat et de la Magistrature dans la décision des affaires de l’empire et le jugement des différends reste tel que nous l’avons présenté aux articles 33 et 34 du chapitre précédent.


Ceterum in hoc imperio supremum concilium convocandum non est, nisi opus sit ipsum imperium reformare, vel in arduo aliquo negotio, ad quod peragendum senatores se impares esse credent ; atque adeo raro admodum fiet, ut omnes patricii in concilium vocentur. Nam praecipuum supremi concilii officium esse diximus (art. 17. praeced. cap.) leges condere et abrogare, et deinde imperii ministros eligere. At leges sive communia totius imperii iura simulatque instituta sunt, immutari non debent. Quod si tamen tempus, et occasio ferat, ut novum aliquod ius instituendum sit aut iam statutum mutandum, potest prius de eodem quaestio in senatu haberi, et postquam senatus in eo convenerit, tum deinde legati ad urbes ab ipso senatu mittantur, qui uniuscuiusque urbis patricios senatus sententiam doceant ; et si denique maior urbium pars in sententiam senatus iverit, ut tum ipsa rata maneat, alias irrita. Atque hic idem ordo in eligendis ducibus exercitus et legatis in alia regna mittendis, ut et circa decreta de bello inferendo et pacis conditionibus acceptandis teneri potest. Sed in reliquis imperii ministris eligendis, quia (ut in art. 4. huius cap. ostendimus) unaquaeque urbs, quantum fieri potest, sui iuris manere debet, et in imperio tanto plus iuris obtinere, quanto reliquis est potentior, hic ordo necessario servandus est. Nempe senatores a patriciis uniuscuiusque urbis eligendi sunt ; videlicet unius urbis patricii in suo concilio certum senatorum numerum ex suis civibus collegis eligent, qui ad numerum patriciorum eiusdem urbis se habeat (vide art. 30. praeced. cap.), ut 1 ad 12. Et quos primi, secundi, tertii etc. ordinis esse volunt, designabunt ; et sic reliquarum urbium patricii pro magnitudine sui numeri plures paucioresve senatores eligent, et in tot ordines distribuent, in quot senatum dividendum esse diximus (vid. art. 34. praeced. cap.). Quo fiet, ut in unoquoque senatorum ordine pro magnitudine cuiuscumque urbis plures paucioresve eiusdem senatores reperiantur. At ordinum praesides eorumque vicarii, quorum numerus minor est urbium numero, a senatu ex consulibus electis sorte eligendi sunt. In iudicibus praeterea supremis imperii eligendis idem ordo retinendus est, scilicet ut uniuscuiusque urbis patricii ex suis collegis pro magnitudine sui numeri plures aut pauciores iudices eligant. Atque adeo fiet, ut unaquaeque urbs in eligendis ministris sui iuris, quantum fieri potest, sit, et ut unaquaeque, quo potentior est, eo etiam plus iuris tam in senatu, quam in foro obtineat ; posito scilicet, quod senatus et fori ordo in decernendis imperii rebus et quaestionibus dirimendis talis omnino sit, qualem art. 33. et 34. praeced. cap. descripsimus.


[1Série, comprendre : section.

Dans la même rubrique

Traité politique, IX, §01

Nous avons parlé jusqu’ici de l’État aristocratique en supposant qu’il tire son nom d’une ville unique, capitale de tout l’État. Il est temps de (...)

Traité politique, IX, §02

Les villes donc qui jouissent du droit de cité devront être fondées et fortifiées de telle façon qu’aucune ne puisse à la vérité subsister sans (...)

Traité politique, IX, §03

Les principes énoncés aux §§ 9 et 10 du chapitre précédent sont tirés de la nature commune de l’État aristocratique ; il en est de même du (...)

Traité politique, IX, §04

Voici sur quelles considérations il faut s’appuyer pour décider droitement, selon la nature et la condition de l’État aristocratique, comment il (...)

Traité politique, IX, §05

Je conçois donc que les patriciens dans chaque ville, plus ou moins nombreux (par le § 3 de ce chapitre) suivant la grandeur de la ville, aient (...)

Traité politique, IX, §07

Les chefs des cohortes et les tribuns militaires devront être pris dans le patriciat. Il est juste en effet que chaque ville soit tenue (...)

Traité politique, IX, §08

Il n’y aura pas d’impôts établis par le Sénat sur les sujets ; pour subvenir aux dépenses publiques décrétées par le Sénat, non les sujets, mais (...)

Traité politique, IX, §09

En outre, bien que toutes les villes de l’État ne soient pas des ports de mer, et que les villes maritimes ne soient pas les seules à nommer des (...)

Traité politique, IX, §10

La procédure suivie par l’Assemblée d’une ville pour l’élection des fonctionnaires de la ville et de l’État et pour prendre des décisions dans (...)

Traité politique, IX, §11

Les patriciens de chaque ville nommeront aussi des Consuls qui formeront le Sénat de cette ville. Je ne puis en fixer le nombre et je ne le (...)

Traité politique, IX, §12

Dans chaque ville c’est à l’Assemblée suprême à nommer les juges ; il sera permis toutefois d’en appeler au Tribunal suprême de l’État, sauf (...)

Traité politique, IX, §13

Il reste à parler des villes qui n’ont point leur autonomie. Ces dernières, si elles sont dans une province ou une région de l’État et que leurs (...)

Traité politique, IX, §14

Tels sont les principes fondamentaux de cette sorte d’État. Que sa condition soit meilleure que celle de l’État tirant son nom d’une ville (...)

Traité politique, IX, §15

Cet État aristocratique où le pouvoir se partage entre plusieurs villes, est encore préférable parce qu’il n’y a pas à craindre, comme dans (...)