Traité politique, VIII, §02

  • 26 mars 2005


Supposons donc que, dans un État de grandeur médiocre, il y ait cent hommes supérieurs aux autres auxquels tout le pouvoir est remis et auxquels il appartient en conséquence d’élire, quand l’un d’eux vient à mourir, leur collègue dans le patriciat. Ils voudront faire par tout moyen que leurs enfants ou leurs proches leur succèdent ; le pouvoir appartiendra donc toujours à ceux qui par une fortune heureuse sont fils ou parents de patriciens. Or sur cent hommes parvenus par fortune aux honneurs, il se trouve à peine trois hommes de valeur éminents par le talent et la lucidité d’esprit. Il arrivera donc que le pouvoir appartiendra non à cent personnes, mais à trois qui, supérieures en vigueur d’esprit, tireront sans peine tout à eux, et chacun d’eux, en vertu de l’ambition naturelle à l’homme, pourra se frayer une voie vers la monarchie. De la sorte, si notre calcul est juste, il est nécessaire dans un État dont la grandeur exige au moins cent hommes supérieurs, que le nombre des patriciens soit de cinq mille au minimum. De la sorte en effet, il ne manquera jamais de se trouver cent hommes éminents par l’esprit, en supposant que sur cinquante, briguant les honneurs et les obtenant, il y en ait toujours un qui ne le cède pas aux meilleurs, outre que d’autres imiteront les vertus des meilleurs et en conséquence seront aussi dignes de gouverner.


Traduction Saisset :

Posons en principe que pour un empire de médiocre étendue c’est assez qu’il y ait cent hommes éminents investis du pouvoir souverain et par conséquent du droit de choisir leurs collègues, à mesure que l’un d’eux vient à perdre la vie. Il est clair que ces personnages feront tous les efforts imaginables pour se recruter parmi leurs enfants ou leurs proches, d’où il arrivera que le pouvoir souverain restera toujours entre les mains de ceux que le sort a faits fils ou parents de patriciens. Et comme sur cent individus que le sort fait monter aux honneurs, il s’en rencontre à peine trois qui aient une capacité éminente, il s’ensuit que le gouvernement de l’État ne sera pas entre les mains de cent individus, mais de deux ou trois seulement d’un talent supérieur qui entraîneront tout le reste ; et chacun d’eux, selon le commun penchant de la nature humaine, cherchera à se frayer une voie vers la monarchie. Par conséquent, dans un empire qui par son étendue exige au moins cent hommes éminents, il faut, si nous calculons bien, que le pouvoir soit déféré à cinq mille patriciens pour le moins. De cette manière, en effet, on ne manquera jamais de trouver cent individus éminents, en supposant toutefois que sur cinquante personnes qui aspirent aux honneurs et qui les obtiennent, on trouve toujours un individu qui ne soit pas inférieur aux meilleurs, outre ceux qui tâchent d’égaler leurs vertus et qui à ce titre sont également dignes de gouverner.


Ponatur itaque pro mediocris imperii magnitudine satis esse, ut centum optimi viri dentur, in quos summa imperii potestas delata sit, et quibus consequenter ius competat collegas patricios eligendi, quando eorum aliquis vita excessit. Hi sane omni modo conabuntur, ut eorum liberi, vel qui iis sanguine proximi sunt, sibi succedant. Unde fiet, ut summa imperii potestas semper penes eos erit, quos fortuna patriciis liberos aut consanguineos dedit, et quia ex centum hominibus, qui fortunae causa ad honores ascendunt, vix tres reperiuntur, qui arte et consilio pollent vigentque, fiet ergo, ut imperii potestas non penes centum, sed penes duos tantummodo aut tres sit, qui animi virtute pollent, quique facile omnia ad se trahere, et unusquisque more humanae cupidinis viam ad monarchiam sternere poterit. Atque adeo, si recte calculum ineamus, necesse est, ut summa potestas imperii, cuius magnitudinis ratio centum optimatum ad minimum exigit, in quinquies mille ad minimum patricios deferatur. Hac enim ratione nunquam deerit, quin centum reperiantur animi virtute excellentes, posito scilicet quod ex quinquaginta, qui honores ambiunt eosque adipiscuntur, unus semper reperiatur optimis non inferior, praeter alios, qui optimorum virtutes aemulantur, quique propterea digni etiam sunt, qui regant.

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