Traité politique, X, §04

  • 17 mai 2005


Toutefois cette autorité des syndics pourra faire seulement que la forme de l’État se maintienne, empêcher que les lois ne soient violées et que qui que ce soit ne tire profit d’une action criminelle. Elle ne pourra empêcher que ne s’infiltrent des vices [1] comme ceux où tombent les hommes jouissant de grands loisirs, vices qui fréquemment causent la ruine de l’État. Les hommes, une fois affranchis de la crainte par la paix, deviennent peu à peu, de sauvages et barbares qu’ils étaient, des êtres civilisés et humains, et de là tombent dans la mollesse et la paresse ; ils ne cherchent plus à l’emporter les uns sur les autres par la vertu, mais par le faste et le luxe, ils prennent en dégoût les mœurs de leur patrie et en adoptent d’étrangères, c’est-à-dire qu’ils commencent à être esclaves.


Traduction Saisset :

Au reste, ce pouvoir des syndics se bornera simplement à conserver la forme du gouvernement, c’est-à-dire à réprimer toute infraction aux lois et à empêcher que personne puisse commettre aucune faute à son avantage. Mais il ne pourra jamais réprimer le progrès des vices sur lesquels les lois n’ont aucune action, de ces vices, par exemple, dans lesquels tombent les hommes de trop de loisir et qui amènent souvent la ruine d’un empire. En effet, quand règne la paix, les hommes dépouillent toute crainte ; ils deviennent insensiblement, de féroces et de barbares qu’ils étaient, humains et civils ; d’humains, ils deviennent mous et paresseux, et chacun met alors son ambition à surpasser les autres, non pas en vertu, mais en faste et en mollesse. Ils en viennent ainsi à dédaigner les mœurs de leur pays, à imiter les mœurs des nations étrangères, et, pour tout dire, ils se préparent à être esclaves.


Verumenimvero haec syndicorum auctoritas hoc solummodo praestare poterit, ut imperii forma servetur, atque adeo prohibere, ne leges infringantur, et ne cuiquam cum lucro peccare liceat ; sed nequaquam efficere poterit, ne vitia, quae lege prohiberi nequeunt, gliscant, ut sunt illa, in quae homines otio abundantes incidunt, et ex quibus imperii ruina non raro sequitur. Homines enim in pace deposito metu paulatim ex ferocibus barbaris civiles seu humani, et ex humanis molles et inertes fiunt, nec alius alium virtute, sed fastu et luxu excellere studet. Unde patrios mores fastidire, alienos induere, hoc est, servire incipiunt.


[1C’est le rôle, à Rome, des censeurs. Voyez Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre I, chap.21 ; Rousseau, Du contrat social, livre V, chap. 7.

Dans la même rubrique

Traité politique, X, §01

Après avoir exposé les principes fondamentaux des deux types d’État aristocratique, reste à rechercher s’il existe quelque cause intérieure (...)

Traité politique, X, §02

Il n’est pas douteux au contraire (par le § 3 du chapitre VI) que si, maintenant la forme de l’État, le glaive du dictateur pouvait se dresser (...)

Traité politique, X, §03

Les tribuns du peuple aussi étaient perpétuels à Rome, mais incapables de triompher de la puissance d’un Scipion ; ils devaient en outre (...)

Traité politique, X, §05

Pour parer à ce mal on a souvent tenté d’édicter des lois somptuaires, mais en vain. Car toutes les règles qui peuvent être violées sans que (...)

Traité politique, X, §06

Ma conclusion donc est que ces vices inhérents à l’état de paix dont nous parlons ici, ne doivent pas être combattus directement mais (...)

Traité politique, X, §07

Si nous considérons les principes fondamentaux des deux États aristocratiques décrits dans les deux chapitres précédents, nous verrons que cela (...)

Traité politique, X, §08

Dans un État qui vise uniquement à conduire les hommes par la crainte, c’est plutôt l’absence de vice que la vertu qui règne. Mais il faut mener (...)

Traité politique, X, §09

Cela posé, voyons maintenant si des États de la sorte décrite peuvent par quelque cause tenant à eux-mêmes être détruits. Si un État cependant (...)

Traité politique, X, §10

On peut nous objecter que, bien qu’elles soient sous la protection de la raison et des affections communes, ces lois de l’État précédemment (...)