Traité politique, XI, §02

  • 17 mai 2005


Si donc seuls les hommes d’un certain âge, ou les premiers nés une fois atteint l’âge légal, ou ceux qui payent une certaine contribution à l’État, ont le droit de suffrage dans l’Assemblée suprême et celui de traiter les affaires publiques, alors même qu’il arriverait que l’Assemblée suprême, en vertu de ces dispositions, comprît moins de membres que celle de l’État aristocratique décrit ci-dessus, l’État n’en devrait pas moins être appelé démocratique puisque les hommes appelés au gouvernement ne seraient pas choisis par l’Assemblée suprême comme étant les meilleurs, mais tiendraient leur pouvoir de la loi [1]. Et bien que, de cette façon, un État où ce ne sont pas les meilleurs, mais ceux qui, par une heureuse fortune, sont riches, ou sont les premiers nés, qui sont appelés à gouverner, paraisse inférieur à un État aristocratique, si nous considérons comment les choses vont, en fait cela revient au même. Pour les patriciens en effet, les meilleurs sont toujours les riches ou ceux qui leur sont apparentés ou qui sont leurs amis. Certes, si les choses étaient telles que, dans le choix de leurs collègues, les patriciens fussent libres de toute affection commune et dirigés par le seul souci du salut public, nul régime ne serait comparable à l’aristocratique. Mais, l’expérience l’enseigne assez et même trop, la réalité est tout autre, surtout dans les oligarchies où la volonté des patriciens s’affranchit le plus de la loi à cause du manque de compétiteurs. Là en effet les patriciens écartent studieusement de l’Assemblée les plus méritants et cherchent à s’associer ceux qui sont dans leur dépendance, de sorte que dans un État pareil les choses vont beaucoup plus mal parce que le choix des patriciens dépend de la volonté arbitraire absolue, affranchie de toute loi, de quelques-uns.


Traduction Saisset :

Si donc il est réglé par une loi que les anciens seulement qui auront atteint un âge déterminé, - ou les seuls aînés, dès que leur âge le permet, - ou ceux qui payent à la république une somme d’argent déterminée, - possèdent le droit de suffrage dans le conseil suprême et le droit de participer aux affaires publiques, bien qu’il puisse arriver, par cette raison, que le conseil suprême y soit composé d’un plus petit nombre de citoyens que dans le gouvernement aristocratique décrit ci-dessus, il faut cependant appeler démocratiques des gouvernements de cette sorte, parce que les citoyens qui doivent gouverner la république n’y sont pas choisis comme les plus dignes par le conseil suprême, mais sont désignés par la loi. Et quoique par cette raison des gouvernements de cette sorte, - c’est-à-dire ceux où l’on ne voit pas les meilleurs citoyens gouverner, mais des individus que le hasard a faits riches, ou les aînés, - paraissent inférieurs au gouvernement aristocratique, cependant, si nous considérons la pratique ou la nature commune des hommes, la chose reviendra au même. Car les patriciens jugeront toujours comme les meilleurs les gens riches ou bien ceux qui leur sont unis par les liens du sang ou de l’amitié ; et à coup sûr si les patriciens devaient élire leurs collègues patriciens, sans passion et en vue du seul intérêt public, il n’y aurait point de gouvernement à opposer au gouvernement aristocratique. Mais la pratique a démontré surabondamment que les choses se passent d’une tout autre façon, surtout dans les oligarchies, où la volonté des patriciens, par le manque de rivaux, est plus que partout ailleurs dégagée de toute loi. Là, en effet, ce que les patriciens ont le plus à cœur, c’est de repousser du conseil les plus dignes citoyens et ils choisissent pour collègues des gens qui n’ont d’autre volonté que la leur ; de telle façon que dans un pareil gouvernement les affaires se font bien plus mal, parce que l’élection des patriciens dépend de la volonté complètement libre de quelques individus, je veux dire, d’une volonté exempte de toute loi. Mais je reviens à mon sujet.


Si igitur iure institutum sit, ut seniores tantummodo, qui ad certum aetatis annum pervenerunt, vel ut soli primogeniti, simulatque per aetatem licet, vel qui certam pecuniae summam reipublicae contribuunt, ius suffragii in supremo concilio et imperii negotia tractandi habeant, quamvis hac ratione fieri posset, ut supremum concilium ex paucioribus civibus componeretur, quam illud imperii aristocratici, de quo supra egimus, erunt nihilominus huiusmodi imperia democratica appellanda, quoniam eorum cives, qui ad regendam rempublicam destinantur, non a supremo concilio ut optimi eliguntur, sed lege ad id destinantur. Et quamvis hac ratione huiusmodi imperia, ubi scilicet non qui optimi, sed qui forte fortuna divites, vel qui primi nati sunt, ad regimen destinantur, imperio aristocratico cedere videantur, tamen si praxin seu communem hominum conditionem spectemus, res eodem redibit. Nam patriciis ii semper optimi videbuntur, qui divites vel ipsis sanguine proximi vel amicitia coniuncti sunt. Et sane, si cum patriciis ita comparatum esset, ut liberi ab omni affectu et solo studio publicae salutis ducti collegas patricios eligerent, nullum esset imperium cum aristocratico comparandum. Sed rem contra omnino sese habere satis superque ipsa experientia docuit, praesertim in oligarchiis, ubi patriciorum voluntas ob defectum aemulantium maxime lege soluta est. Ibi enim studio optimos a concilio arcent patricii, et eos sibi socios in concilio quaerunt, qui ab eorum ore pendent, ita ut in simili imperio multo infelicius res eius sese habeant, propterea quod patriciorum electio ab absoluta quorundam libera sive omni lege soluta voluntate pendeat. Sed ad inceptum redeo.

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