Lettre 28 - Spinoza à Bouwmeester (juin 1665)

  • 27 juillet 2005


à Johannes Bouwmeester,
B. de Spinoza.

Cher ami,

Je ne sais si vous m’avez tout à fait oublié, j’ai plus d’une raison de le soupçonner. Tout d’abord, quand, au moment de partir, j’ai voulu vous dire adieu, et, qu’invité par vous-même, je pensais vous trouver chez vous, j’ai appris que vous étiez parti pour La Haye. Je reviens à Voorburg ne doutant pas que j’aurais au moins votre visite au passage, mais vous êtes rentré chez vous sans avoir salué votre ami, les dieux me pardonnent. Pour finir j’ai attendu trois semaines une lettre de vous qui n’est pas arrivée. Si vous voulez que je change d’opinion, vous n’avez qu’à me faire savoir par lettre comment établir entre nous ce commerce épistolaire dont nous nous sommes entretenus une fois chez vous. Je voudrais en attendant vous demander instamment, en vérité au nom de notre amitié je vous prie, de vous presser d’apporter un zèle véritable à une œuvre sérieuse et à juger qu’il vaut la peine de consacrer la meilleure partie de la vie à cultiver son entendement et soi-même. Je vous le demande pendant qu’il en est temps encore, plus tard vous regretterez le temps perdu et votre abandon de vous-même. Il faut en revenir maintenant à notre commerce épistolaire, et pour que vous ne craigniez pas de m’écrire plus librement, il faut que vous sachiez que, déjà depuis un certain temps, je soupçonne et suis présentement à peu près certain, que vous manquez de confiance plus qu’il ne serait juste, en vos propres capacités et craignez de poser une question ou d’énoncer une proposition qui ne trahisse l’ignorance. Il ne convient pas cependant que je parle de vous et insiste sur vos dons naturels de façon trop ouvertement élogieuse. Si toutefois vous craignez que je ne communique vos lettres à d’autres personnes qui ensuite pourraient rire de vous, j’engage envers vous ma parole que je les garderai religieusement et ne les ferai lire à personne sans votre aveu. Dans de telles conditions, vous pouvez engager cette correspondance, à moins que, ce que je ne puis croire, vous n’ayez pas confiance dans ma promesse. Je compte qu’une première lettre me fera connaître votre sentiment sur ce point et aussi que je recevrai un peu de cette confiture de roses rouges que vous m’avez promise, bien que ma santé soit beaucoup meilleure. Depuis que je suis parti de là-bas, j’ai été saigné une fois, sans que la fièvre disparût. (Je me sentais cependant plus dispos avant même la saignée, par un effet, je pense, du changement d’air.) Deux ou trois fois au contraire j’ai souffert de la fièvre tierce que j’ai enfin réussi à expulser en suivant un bon régime et envoyée je ne sais où, tout mon soin étant qu’elle ne revienne pas. Pour ce qui touche la troisième partie de notre Philosophie, j’en enverrai prochainement un morceau soit à vous si vous voulez le traduire, soit à notre ami de Vries. J’avais décidé de ne rien envoyer avant d’avoir achevé mon travail, toutefois comme il se trouve être plus long que je ne pensais, je ne veux pas vous faire trop attendre. Ce que je vous enverrai va environ jusqu’à la proposition 80. J’ai beaucoup entendu parler des affaires d’Angleterre, mais n’ai rien appris de certain. Les gens ne cessent de redouter le pire et personne ne sait pour quelle raison l’on ne fait pas sortir la flotte. Il semble seulement que la décision est encore en suspens. Je crains que nos dirigeants ne veuillent être trop sages et trop prévoyants. Nous verrons bien d’ailleurs ce qu’ils ont dans l’esprit et ce qu’ils préparent. Puissent les dieux le faire tourner à bien. Je voudrais savoir ce que nos amis en pensent et ce qu’ils ont appris, mais je désire encore plus et par-dessus tout que vous... etc.

Voorburg, juin 1665.


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