Axiome 9

  • 1er octobre 2006


La réalité objective de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue non pas seulement objectivement, mais formellement ou éminemment.

Cet axiome est reconnu par tous quoique beaucoup en usent mal. Sitôt, en effet, que quelqu’un a conçu quelque chose de nouveau, il n’est personne qui ne cherche la cause de ce concept ou de cette idée. Et quand on peut en assigner une dans laquelle soit contenu formellement ou éminemment autant de réalité qu’il y en a objectivement dans le concept, on se tient pour satisfait. L’exemple de la machine que donne Descartes dans les Principes, partie I, art. 17, l’explique suffisamment. De même si l’on demande d’où l’homme tient l’idée de sa propre pensée et celle de son corps, il n’est personne qui ne voie qu’il les tient de lui-même, en tant qu’il contient en lui formellement tout ce que ces idées contiennent objectivement. C’est pourquoi, si l’homme avait quelque idée contenant plus de réalité objective qu’il n’a lui-même de réalité formelle, dirigés par la Lumière Naturelle, nous chercherions nécessairement en dehors de l’homme une autre cause qui contînt toute cette perfection formellement ou éminemment. Personne n’a jamais assigné une cause autre que celle-là, qu’il conçût avec une clarté et une distinction égales. De plus, en ce qui concerne la vérité de cet Axiome elle dépend des précédents.

Il existe, en effet (par l’Axiome 4), des degrés divers de réalité ou d’entité dans les idées ; et de plus (par l’Axiome 8) à proportion de leur degré de perfection elles requièrent une cause plus parfaite. Mais les degrés [1] de réalité que nous observons dans les idées ne sont pas en elles en tant qu’on les considère comme des modes de penser, mais en tant que l’une représente une substance, l’autre seulement un mode de la substance, ou en un mot, en tant qu’on les considère comme des images des choses ; d’où il suit clairement qu’il ne peut exister aucune autre cause première des idées que celle que, nous le montrions tout à l’heure, tous connaissent clairement et distinctement par la Lumière Naturelle, à savoir celle où est contenue formellement ou éminemment la même réalité qui est en elles objectivement. Pour que cette conclusion soit mieux entendue, je l’éclaircirai par un ou deux exemples. Si quelqu’un voit écrits de la même main deux livres (on peut supposer que l’un est d’un philosophe insigne et l’autre d’un bavard insipide) et qu’il ne prenne point garde au sens des mots (c’est-à-dire ne prenne point garde aux mots en tant qu’ils sont des images), mais seulement aux caractères tracés et à l’ordre des lettres, il ne discernera aucune inégalité qui l’oblige à chercher des causes différentes pour ces deux livres ; ils lui paraîtront avoir été produits par la même cause et de la même façon. Si, au contraire, il prend garde au sens des mots et des discours, il trouvera entre ces livres une grande inégalité et en conclura que la cause première de l’un a été fort différente de la cause première de l’autre, et que l’une l’a emporté réellement sur l’autre en perfection autant que les discours contenus dans les deux livres, ou les mots considérés en tant qu’images, différent entre eux. Je parle d’ailleurs de la cause première du livre qui doit nécessairement exister, bien que j’accorde et même que je suppose, cela étant évident, qu’un livre peut être copié d’un autre. Cela peut encore s’éclaircir par l’exemple d’un portrait, disons celui d’un prince. Si, en effet, nous prenons garde seulement à la matière de ce portrait, nous ne trouverons aucune inégalité entre lui et d’autres portraits, qui nous oblige à chercher des causes différentes ; rien ne nous empêchera même de penser que ce portrait a été copié d’un autre, et ce dernier à son tour d’un autre et ainsi à l’infini. Car nous discernons suffisamment que nulle autre cause n’est requise pour les lignes tracées. Mais, si nous prenons garde à l’image en tant qu’elle est une image, nous serons aussitôt obligés de chercher une cause première qui contienne formellement ou éminemment ce que cette image contient représentativement. Et je ne vois pas qu’il y ait rien de plus à demander pour établir et éclaircir cet axiome.



[1Nous sommes aussi certains de cela parce que nous le trouvons en nous en tant que nous pensons (Voir Scolie précédent).

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