EIII - Proposition 11 - scolie

  • 4 mai 2004




Nous avons donc vu que l’Âme est sujette quand elle est passive, à de grands changements et passe tantôt à une perfection plus grande, tantôt à une moindre ; et ces passions nous expliquent les affections de la Joie et de la Tristesse. Par Joie j’entendrai donc, par la suite, une passion par laquelle l’Âme passe à une perfection plus grande. Par Tristesse, une passion par laquelle elle passe à une perfection moindre. J’appelle, en outre, l’affection de la Joie, rapportée à la fois à l’Âme et au Corps, Chatouillement ou Gaieté ; celle de la Tristesse, Douleur ou Mélancolie. Il faut noter toutefois que le Chatouillement et la Douleur se rapportent à l’homme, quand une partie de lui est affectée plus que les autres, la Gaieté et la Mélancolie, quand toutes les parties sont également affectées. Pour le Désir j’ai expliqué ce que c’est dans le Scolie de la Proposition 9, et je ne reconnais aucune affection primitive outre ces trois : je montrerai par la suite que les autres naissent de ces trois. Avant de poursuivre, toutefois, il me paraît bon d’expliquer ici plus amplement la Proposition 10 de cette Partie, afin que l’on connaisse mieux en quelle condition une idée est contraire à une autre.

Dans le Scolie de la Proposition 17, Partie II, nous avons montré que l’idée constituant l’essence de l’Âme enveloppe l’existence du Corps aussi longtemps que le Corps existe. De plus, de ce que nous avons fait voir dans le Corollaire et dans le Scolie de la Proposition 8, Partie II, il suit que l’existence présente de notre Âme dépend de cela seul, à savoir de ce que l’Âme enveloppe l’existence actuelle du Corps. Nous avons montré enfin que la puissance de l’Âme par laquelle elle imagine les choses et s’en souvient, dépend de cela aussi (Prop. 17 et 18, p. II, avec son Scolie) qu’elle enveloppe l’existence actuelle du Corps. D’où il suit que l’existence présente de l’Âme et sa puissance d’imaginer sont ôtées, sitôt que l’Âme cesse d’affirmer l’existence présente du Corps. Mais la cause pour quoi l’Âme cesse d’affirmer cette existence du Corps, ne peut être l’Âme elle-même (Prop. 4) et n’est pas non plus que le Corps cesse d’exister. Car (Prop. 6, p.II) la cause pour quoi l’Âme affirme l’existence du Corps, n’est pas que le Corps a commencé d’exister ; donc, pour la même raison, elle ne cesse pas d’affirmer l’existence du Corps parce que le Corps cesse d’être ; mais (Prop. 8, p. II) cela provient d’une autre idée qui exclut l’existence présente de notre Corps et, conséquemment, celle de notre Âme et qui est, par suite, contraire à l’idée constituant l’essence de notre Âme. [*]


Videmus itaque mentem magnas posse pati mutationes et jam ad majorem jam autem ad minorem perfectionem transire, quæ quidem passiones nobis explicant affectus lætitiæ et tristitiæ. Per lætitiam itaque in sequentibus intelligam passionem qua mens ad majorem perfectionem transit. Per tristitiam autem passionem qua ipsa ad minorem transit perfectionem. Porro affectum lætitiæ ad mentem et corpus simul relatum titillationem vel hilaritatem voco, tristitiæ autem dolorem vel melancholiam. Sed notandum titillationem et dolorem ad hominem referri quando una ejus pars præ reliquis est affecta ; hilaritatem autem et melancholiam quando omnes pariter sunt affectæ. Quid deinde cupiditas sit in scholio propositionis 9 hujus partis explicui et præter hos tres nullum alium agnosco affectum primarium nam reliquos ex his tribus oriri in sequentibus ostendam. Sed antequam ulterius pergam, lubet hic fusius propositionem 10 hujus partis explicare ut clarius intelligatur qua ratione idea ideæ sit contraria.
In scholio propositionis 17 partis II ostendimus ideam quæ mentis essentiam constituit, corporis existentiam tamdiu involvere quamdiu ipsum corpus existit. Deinde ex iis quæ in corollario propositionis 8 partis II et in ejusdem scholio ostendimus, sequitur præsentem nostræ mentis existentiam ab hoc solo pendere quod scilicet mens actualem corporis existentiam involvit. Denique mentis potentiam qua ipsa res imaginatur earumque recordatur, ab hoc etiam pendere ostendimus (vide propositiones 17 et 18 partis II cum ejus scholio) quod ipsa actualem corporis existentiam involvit. Ex quibus sequitur mentis præsentem existentiam ejusque imaginandi potentiam tolli simulatque mens præsentem corporis existentiam affirmare desinit. At causa cur mens hanc corporis existentiam affirmare desinit, non potest esse ipsa mens (per propositionem 4 hujus) nec etiam quod corpus esse desinit. Nam (per propositionem 6 partis II) causa cur mens corporis existentiam affirmat, non est quia corpus existere incepit : quare per eandem rationem nec ipsius corporis existentiam affirmare desinit quia corpus esse desinit sed (per propositionem 8 partis II) hoc ab alia idea oritur quæ nostri corporis et consequenter nostræ mentis præsentem existentiam secludit quæque adeo ideæ quæ nostræ mentis essentiam constituit, est contraria.


[*(Saisset :) Nous voyons que l’âme peut souffrir un grand nombre de changements, et passer tour à tour d’une certaine Perfection à une perfection plus grande ou plus petite ; et ce sont ces diverses passions qui nous expliquent ce que c’est que joie et que tristesse. J’entendrai donc par joie, dans toute la suite de ce traité, une passion par laquelle l’âme passe à une perfection plus grande ; par tristesse, au contraire, une passion par laquelle l’âme passe à une moindre perfection. En outre, l’affection de la joie, quand on la rapporte à la fois au corps et à l’âme, je la nomme chatouillement ou hilarité ; et l’affection de la tristesse, douleur ou mélancolie. Mais il faut remarquer que le chatouillement et la douleur se rapportent à l’homme en tant qu’une de ses parties est affectée plus vivement que les autres ; lorsque au contraire toutes les parties sont également affectées, c’est l’hilarité et la mélancolie. Quant à la nature du désir, je l’ai expliquée dans le Scolie de la Propos. 9 ; et j’avertis qu’après ces trois passions, la joie, la tristesse et le désir, je ne reconnais aucune autre passion primitive ; et je me réserve de prouver par la suite que toutes les passions naissent de ces trois passions élémentaires. Mais, avant d’aller plus loin, je dois expliquer ici avec plus de clarté la Propos. l0, afin qu’on comprenne plus aisément comment une idée est contraire à une autre idée.
Dans le Scolie de la Propos. 17, partie 2, on a montré que l’idée qui constitue l’essence de l’âme enveloppe l’existence du corps, tant que le corps existe. De plus, des principes établis dans le corollaire de la Propos. 8, partie 2, et dans le Scolie de cette Propos., il résulte que l’existence présente de notre âme, dépend de ce seul point, savoir, que l’âme enveloppe l’existence actuelle du corps.
Enfin, nous avons également montré que cette puissance de l’âme par laquelle elle imagine les choses et se les rappelle, dépend encore de ce seul point (voyez les Propos. 17 et 18, partie 2, avec le Scholie) que l’âme enveloppe l’existence actuelle du corps. Or, il suit de tout cela que l’existence présente de l’âme et sa puissance d’imaginer sont détruites aussitôt que l’âme cesse d’affirmer l’existence présente du corps. Or, la cause qui fait que l’âme cesse d’affirmer l’existence présente du corps, ce ne peut être l’âme elle-même (par la Propos. 4), et ce ne peut être non plus la cessation de l’existence du corps. Car (par la Propos. 6, partie 2) la cause qui fait que l’âme affirme l’existence du corps, ce n’est pas que le corps commence actuellement d’exister ; et conséquemment, par la même raison, l’âme ne cessera pas d’affirmer l’existence du corps, par cela seul que le corps cessera d’exister actuellement ; la véritable cause (par la Propos. 8, partie 2), c’est une idée qui exclut l’existence de notre corps, et par suite de notre âme, idée qui, en conséquence, est contraire à celle qui constitue l’essence de notre âme.

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