EII - Proposition 17 - scolie

  • 17 avril 2004

Nous voyons ainsi comment il se peut faire que nous considérions ce qui n’est pas comme s’il était présent, ce qui arrive souvent. Et il est possible que cela provienne d’autres causes, mais il me suffit d’en avoir montré une seule par laquelle je puisse expliquer la chose comme si je l’eusse démontrée par sa vraie cause ; je ne crois cependant pas m’être beaucoup écarté de la vraie, puisque tous les postulats que j’ai admis ici, ne contiennent à peu près rien qui ne soit établi par l’expérience, et qu’il ne nous est plus permis de la révoquer en doute après que nous avons montré que le Corps humain existe conformément au sentiment que nous en avons (voir Coroll. de la Prop. 13). En outre (par le Coroll. préc. et le Coroll. 2 de la Prop. 16), nous connaissons clairement quelle différence il y a entre l’idée de Pierre, par exemple, qui constitue l’essence de l’âme de Pierre lui-même et l’idée du même Pierre qui est dans un autre homme, disons Paul. La première en effet exprime directement l’essence du Corps de Pierre, et elle n’enveloppe l’existence qu’aussi longtemps que Pierre existe ; la seconde indique plutôt l’état du Corps de Paul que la nature de Pierre, et, par suite, tant que dure cet état du Corps de Paul, l’Âme de Paul considère Pierre comme s’il lui était présent, même s’il n’existe plus. Pour employer maintenant les mots en usage, nous appellerons images des choses les affections du Corps humain dont les idées nous représentent les choses extérieures comme nous étant présentes, même si elles ne reproduisent pas les figures des choses. Et, quand l’Âme contemple les corps en cette condition, nous dirons qu’elle imagine. Et ici, pour commencer d’indiquer ce qu’est l’erreur, je voudrais faire observer que les imaginations de l’Âme considérées en elles-mêmes ne contiennent aucune erreur ; autrement dit, que l’Âme n’est pas dans l’erreur, parce qu’elle imagine ; mais elle est dans l’erreur, en tant qu’elle est considérée comme privée d’une idée qui exclue l’existence de ces choses qu’elle imagine comme lui étant présentes. Si en effet l’Âme, durant qu’elle imagine comme lui étant présentes des choses n’existant pas, savait en même temps que ces choses n’existent pas en réalité, elle attribuerait certes cette puissance d’imaginer à une vertu de sa nature, non à un vice ; surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, c’est-à-dire (Déf. 7, p. I) si cette faculté qu’a l’âme d’imaginer était libre. [*]


Videmus itaque qui fieri potest ut ea quæ non sunt veluti præsentia contemplemur, ut sæpe fit. Et fieri potest ut hoc aliis de causis contingat sed mihi hic sufficit ostendisse unam per quam rem sic possim explicare ac si ipsam per veram causam ostendissem nec tamen credo me a vera longe aberrare quandoquidem omnia illa quæ sumpsi postulata, vix quicquam continent quod non constet experientia de qua nobis non licet dubitare postquam ostendimus corpus humanum prout ipsum sentimus, existere (vide corollarium post propositionem 13 hujus). Præterea (ex corollario præcedentis et corollario II propositionis 16 hujus) clare intelligimus quænam sit differentia inter ideam exempli gratia Petri quæ essentiam mentis ipsius Petri constituit et inter ideam ipsius Petri quæ in alio homine, puta in Paulo, est. Illa enim essentiam corporis ipsius Petri directe explicat nec existentiam involvit nisi quamdiu Petrus existit ; hæc autem magis constitutionem corporis Pauli quam Petri naturam indicat et ideo durante illa corporis Pauli constitutione mens Pauli quamvis Petrus non existat, ipsum tamen ut sibi præsentem contemplabitur. Porro ut verba usitata retineamus, corporis humani affectiones quarum ideæ corpora externa velut nobis præsentia repræsentant, rerum imagines vocabimus tametsi rerum figuras non referunt. Et cum mens hac ratione contemplatur corpora, eandem imaginari dicemus. Atque hic ut quid sit error indicare incipiam, notetis velim mentis imaginationes in se spectatas nihil erroris continere sive mentem ex eo quod imaginatur, non errare sed tantum quatenus consideratur carere idea quæ existentiam illarum rerum quas sibi præsentes imaginatur, secludat. Nam si mens dum res non existentes ut sibi præsentes imaginatur, simul sciret res illas revera non existere, hanc sane imaginandi potentiam virtuti suæ naturæ, non vitio tribueret præsertim si hæc imaginandi facultas a sola sua natura penderet hoc est (per definitionem 7 partis I) si hæc mentis imaginandi facultas libera esset.


[*(Saisset) : Nous venons de voir comment il se peut faire que nous apercevions comme présentes, ainsi qu’il arrive souvent, des choses qui n’existent pas. Peut-être y a-t-il d’autres causes de ce phénomène ; mais il me suffit ici d’en avoir indiqué une par laquelle j’explique la chose aussi bien que je le ferais par la cause véritable. Je ne crois pas, du reste, m’éloigner de beaucoup de cette vraie explication, puisque tous mes postulats ne contiennent guère que des faits établis par l’expérience. Or, il ne peut plus nous être permis de mettre l’expérience en doute, du moment que nous avons montré que le corps humain existe tel que nous le sentons (voir le Corollaire de la Propos. 13). Un autre point que nous devons maintenant comprendre clairement (par le Corollaire précéd. et par le Corollaire 2 de la Propos 16), c’est la différence qui existe entre l’idée de Pierre, par exemple, en tant qu’elle constitue l’essence de l’âme de Pierre, et cette idée en tant qu’elle est dans l’âme d’un autre homme, par exemple, de Paul. Celle-là en effet exprime directement l’essence du corps de Pierre lui-même, et n’enveloppe l’existence que pendant la durée de l’existence de Pierre ; mais celle-ci marque bien plutôt la constitution du corps de Paul que la nature de Pierre ; et c’est pourquoi, tant que durera cette constitution corporelle de Paul, l’âme de Paul apercevra Pierre comme lui étant présent, quoique Pierre n’existe pas. Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d’usage, images des choses, bien que la figure des choses n’y soit pas contenue. Et lorsque l’âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu’elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l’erreur, je prie qu’on prenne garde que les imaginations de l’âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d’erroné ; en d’autres termes, que l’âme n’est point dans l’erreur en tant qu’elle imagine, mais bien en tant qu’elle est privée d’une idée excluant l’existence des choses qu’elle imagine comme présentes. Car si l’âme, tandis qu’elle imagine comme présentes des choses qui n’ont point de réalité, savait que ces choses n’existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l’imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la Déf. 7, partie 1) si cette faculté était libre.

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