EII - Proposition 44 - corollaire 1 - scolie

  • 27 avril 2004

J’expliquerai ici brièvement dans quelle condition cela a lieu. Nous avons montré ci-dessus (Prop. 17 avec son Coroll.) que l’Âme imagine toujours les choses comme lui étant présentes, bien qu’elles n’existent pas, à moins qu’il ne se rencontre des causes qui excluent leur existence présente. De plus, nous avons montré (Prop. 18) que si une fois le Corps humain a été affecté simultanément par deux corps extérieurs, sitôt que l’Âme plus tard imaginera l’un des deux, il lui souviendra aussi de l’autre, c’est-à-dire qu’elle les considérera comme lui étant présents l’un et l’autre, à moins qu’il ne se rencontre des causes qui excluent leur existence présente. Nul ne doute d’ailleurs que nous n’imaginions aussi le temps, et cela parce que nous imaginons des corps se mouvant les uns plus lentement ou plus vite que les autres, ou avec une vitesse égale. Supposons maintenant un enfant qui hier une première fois aura vu le matin Pierre, à midi Paul, et le soir Siméon, et aujourd’hui de nouveau a vu Pierre le matin. Il est évident, par la Proposition 18, que, sitôt qu’il voit la lumière du matin, il imaginera le soleil parcourant la même partie du ciel qu’il aura vue la veille ; en d’autres termes, imaginera le jour entier et Pierre avec le matin, Paul à midi et Siméon avec le soir, c’est-à-dire qu’il imaginera l’existence de Paul et de Siméon avec une relation au temps futur ; au contraire, s’il voit Siméon le soir, il rapportera Paul et Pierre au temps passé, les imaginant en même temps que le passé ; et cette imagination sera constante d’autant plus qu’il les aura vus plus souvent dans le même ordre. S’il arrive une fois qu’un autre soir, à la place de Siméon, il voie Jacob alors au matin suivant il imaginera en même temps que le soir tantôt Siméon, tantôt Jacob, mais non tous les deux ensemble. Car on suppose qu’il a vu, le soir, l’un des deux seulement et non les deux à la fois. Son imagination sera donc flottante, et il imaginera, en même temps que le soir futur, tantôt l’un, tantôt l’autre, c’est-à-dire considérera l’un et l’autre non comme devant être de façon certaine, mais comme des futurs contingents. Ce flottement de l’imagination sera le même si les choses imaginées sont des choses que nous considérons avec une relation au temps passé ou au présent ; et, conséquemment, nous imaginerons comme contingentes les choses rapportées tant au présent temps qu’au passé et au futur. [*]


Qua autem ratione hoc fiat paucis explicabo. Ostendimus supra (propositione 17 hujus cum ejus corollario) mentem, quamvis res non existant, eas tamen semper ut sibi præsentes imaginari nisi causæ occurrant quæ earum præsentem existentiam secludant. Deinde (propositione 18 hujus) ostendimus quod si corpus humanum semel a duobus corporibus externis simul affectum fuit, ubi mens postea eorum alterutrum imaginabitur, statim et alterius recordabitur hoc est ambo ut sibi præsentia contemplabitur nisi causæ occurrant quæ eorum præsentem existentiam secludant. Præterea nemo dubitat quin etiam tempus imaginemur nempe ex eo quod corpora alia aliis tardius vel celerius vel æque celeriter moveri imaginemur. Ponamus itaque puerum qui heri prima vice hora matutina viderit Petrum, meridiana autem Paulum et vespertina Simeonem atque hodie iterum matutina hora Petrum. Ex propositione 18 hujus patet quod simulac matutinam lucem videt, illico solem eandem cæli quam die præcedenti viderit partem percurrentem sive diem integrum et simul cum tempore matutino Petrum, cum meridiano autem Paulum et cum vespertino Simeonem imaginabitur hoc est Pauli et Simeonis existentiam cum relatione ad futurum tempus imaginabitur et contra si hora vespertina Simeonem videat, Paulum et Petrum ad tempus præteritum referet, eosdem scilicet simul cum tempore præterito imaginando atque hæc eo constantius quo sæpius eos eodem hoc ordine viderit. Quod si aliquando contingat ut alia quadam vespera loco Simeonis Jacobum videat, tum sequenti mane cum tempore vespertino jam Simeonem jam Jacobum, non vero ambos simul imaginabitur. Nam alterutrum tantum, non autem ambos simul tempore vespertino vidisse supponitur. Fluctuabitur itaque ejus imaginatio et cum futuro tempore vespertino jam hunc jam illum imaginabitur hoc est neutrum certo sed utrumque contingenter futurum contemplabitur. Atque hæc imaginationis fluctuatio eadem erit si imaginatio rerum sit quas eodem modo cum relatione ad tempus præteritum vel præsens contemplamur et consequenter res tam ad tempus præsens quam ad præteritum vel futurum relatas ut contingentes imaginabimur.


[*(Saisset :) Comment en est-il ainsi ? C’est ce que je vais expliquer en peu de mots. Nous avons vu plus haut (Propos. 17, et son Corollaire) que l’âme imagine toujours les choses comme lui étant présentes, quoiqu’elles n’existent pas, à moins que certaines causes ne viennent à agir, qui excluent leur existence présente. Nous avons montré ; ensuite (Propos. 18) que si le corps humain a été une fois affecté simultanément par deux corps extérieurs, aussitôt que l’âme vient à imaginer l’un d’entre eux, elle se souvient à l’instant de l’autre, c’est-à-dire les aperçoit tous deux comme lui étant présents, à moins que par l’action de certaines causes leur existence présente ne se trouve exclue. En outre, personne ne conteste que nous n’imaginions aussi le temps, par cela même que nous venons à imaginer que certains corps se meuvent plus lentement ou plus rapidement les uns que les autres ou avec une égale rapidité. Supposons maintenant qu’un enfant qui aurait vu hier, pour la première fois, le matin Pierre, à midi Paul et le soir Siméon, voie ce matin Pierre pour la seconde fois. Il résulte évidemment de la Propos. 18, qu’aussitôt qu’il verra la lumière du matin, il imaginera aussitôt le soleil parcourant la même partie du ciel qu’il lui a vu parcourir la veille ; il imaginera donc le jour tout entier, et en même temps, avec le matin Pierre, avec l’heure du midi Paul, avec le soir Siméon ; en d’autres termes, il imaginera Paul et Siméon avec une relation au temps futur. Au contraire, si on suppose qu’il voie Siméon le soir, il rapportera Paul et Siméon au temps passé, les imaginant l’un et l’autre avec le temps passé d’une manière simultanée. Et tout cela se produira d’autant plus régulièrement que l’enfant dont nous parlons aura vu plus souvent ces trois personnes dans le même ordre. Que s’il arrive, un soir, qu’au lieu de voir Siméon, il voit Jacob, le lendemain matin il ne joindra plus à l’idée du soir la personne seule de Siméon, niais tantôt Siméon, tantôt Jacob, et non pas tous deux à la fois ; car, d’après l’hypothèse, il a vu le soir tantôt l’un, tantôt l’autre, et non pas tous deux à la fois. Voilà donc son imagination livrée à une sorte de fluctuation et joignant à l’idée du soir ou celui-ci ou celui-là, c’est-à-dire aucun d’eux d’une manière certaine, de façon qu’il les aperçoit l’un et l’autre comme des futurs contingents. Or, cette même fluctuation aura lieu de la même manière chaque fois que nous imaginerons cet ordre de choses que nous concevons également en relation avec le temps passé ou le temps présent ; et en conséquence toutes choses que nous rapportons aussi bien au présent qu’au passé et au futur, nous les imaginerons comme contingentes.

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