EIII - Définitions des affects - 48

  • 23 mai 2004

La Lubricité est aussi un Désir et un Amour de l’union des corps.

EXPLICATION

Que ce Désir du coït soit modéré ou ne le soit pas, on a coutume de l’appeler Lubricité. De plus, les cinq dernières affections (comme je l’ai fait observer dans le Scolie de la Prop. 56) n’ont pas de contraires. Car la Modestie est une espèce d’Ambition, comme on le voit dans le Scolie de la Proposition 29. J’ai déjà fait observer que la Tempérance, la Sobriété et la Chasteté ne sont pas des passions, mais des puissances de l’Âme. Et bien qu’il puisse arriver qu’un homme avare, ambitieux ou peureux, s’abstienne des excès de table, de boisson ou de coït, l’Avarice cependant, l’Ambition et la Peur ne sont pas opposées à la gourmandise, à l’ivrognerie ou à la lubricité. Car l’avare souhaite la plupart du temps se gorger de nourriture et de boisson aux dépens d’autrui. L’ambitieux, pourvu qu’il ait l’espoir de n’être pas découvert, ne se modérera en rien et, s’il vit parmi des ivrognes et des lubriques, il sera, par son ambition même, plus enclin aux mêmes vices. Le peureux enfin fait ce qu’il ne veut pas. Encore bien qu’il jette à la mer ses richesses pour éviter la mort, il demeure avare ; et si le lubrique est triste de ne pouvoir se satisfaire, il ne cesse pas pour cela d’être lubrique. Et d’une manière générale ces affections ne concernent pas tant les actes mêmes de manger, boire, etc., que le Désir et l’Amour de ces actes. On ne peut donc rien opposer à ces affections, sinon la Générosité et la Fermeté d’âme dont nous parlerons plus tard.
Je passe sous silence les définitions de la Jalousie et des autres fluctuations de l’Âme, tant parce qu’elles naissent d’une combinaison des affections déjà définies que parce que la plupart n’ont pas de noms ; ce qui montre qu’il suffit pour l’usage de la vie de les connaître en général. Il est d’ailleurs clair, par les Définitions des affections expliquées, que toutes naissent du Désir, de la Joie ou de la Tristesse, ou plutôt ne sont rien que ces trois qui toutes ont coutume d’être appelées de divers noms à cause des relations suivant lesquelles on les considère et de leurs dénominations extrinsèques. Si maintenant nous avons égard à ces affections primitives et à ce qui a été dit auparavant de la nature de l’Âme, nous pourrons définir comme il suit les Affections en tant qu’elles se rapportent à l’Âme seule. [*]

Ethique III - Définition générale des affects


Libido est etiam cupiditas et amor in commiscendis corporibus.

EXPLICATIO :

Sive hæc coeundi cupiditas moderata sit sive non sit, libido appellari solet. Porro hi quinque affectus (ut in scholio propositionis 56 hujus monui) contrarios non habent. Nam modestia species est ambitionis, de qua vide scholium propositionis 29 hujus. Temperantiam deinde, sobrietatem et castitatem mentis potentiam, non autem passionem indicare jam etiam monui. Et tametsi fieri potest ut homo avarus, ambitiosus vel timidus a nimio cibo, potu et coitu abstineat, avaritia tamen, ambitio et timor luxuriæ, ebrietati vel libidini non sunt contrarii. Nam avarus in cibum et potum alienum se ingurgitare plerumque desiderat. Ambitiosus autem, modo speret fore clam, in nulla re sibi temperabit et si inter ebrios vivat et libidinosos, ideo quia ambitiosus est, proclivior erit ad eadem vitia. Timidus denique id quod non vult, facit. Nam quamvis mortis vitandæ causa divitias in mare projiciat, manet tamen avarus et si libidinosus tristis est quod sibi morem gerere nequeat, non desinit propterea libidinosus esse. Et absolute hi affectus non tam ipsos actus convivandi, potandi etc. respiciunt quam ipsum appetitum et amorem. Nihil igitur his affectibus opponi potest præter generositatem et animositatem, de quibus in sequentibus.
Definitiones zelotypiæ et reliquarum animi fluctuationum silentio prætermitto tam quia ex compositione affectuum quos jam definivimus, oriuntur quam quia pleræque nomina non habent, quod ostendit ad usum vitæ sufficere easdem in genere tantummodo noscere. Cæterum ex definitionibus affectuum quos explicuimus, liquet eos omnes a cupiditate, lætitia vel tristitia oriri seu potius nihil præter hos tres esse quorum unusquisque variis nominibus appellari solet propter varias eorum relationes et denominationes extrinsecas. Si jam ad hos primitivos et ad ea quæ de natura mentis supra diximus, attendere velimus, affectus quatenus ad solam mentem referuntur sic definire poterimus.


[*(Saisset :) Le libertinage est le désir, l’amour de l’union sexuelle. Explication Que ce désir soit modéré ou non, on a coutume de l’appeler libertinage. Ces cinq dernières passions n’ont pas de contraires (comme j’en ai averti dans le Scol. de la Propos. 56). Car la modestie est une espèce d’ambition (voyez le Scol. de la Propos. 29), et j’ai déjà fait observer que la tempérance, la sobriété et la chasteté marquent la puissance de l’âme, et non une affection passive. Et bien qu’il puisse arriver qu’un homme avare, ambitieux ou timide s’abstienne de tout excès dans le boire, le manger et dans l’union sexuelle, l’avarice, l’ambition et la crainte ne sont pas contraires pour cela à la luxure, à l’ivrognerie, au libertinage. Car l’avare désire le plus souvent se gorger de nourriture et de boisson, pourvu que ce soit aux dépens d’autrui. L’ambitieux, chaque fois qu’il espérera être sans témoin, ne gardera aucune mesure, et s’il vit avec des ivrognes et des voluptueux, par cela même qu’il est ambitieux, il sera d’autant plus enclin à ces deux vices. L’homme timide enfin fait souvent ce qu’il ne voudrait pas faire. Tout en jetant ses richesses à la mer pour éviter la mort, il n’en reste pas moins avare. Et de même le voluptueux n’en reste pas moins voluptueux, tout en éprouvant de la tristesse de ne pouvoir satisfaire son penchant. Ainsi donc, en général, ces passions ne regardent pas tant l’action même de se livrer au plaisir de manger, de boire, etc., que l’appétit ou l’amour que nous ressentons. On ne peut donc rien opposer à ces passions que la générosité et le courage, comme nous le montrerons par la suite.
Je passe sous silence les définitions de la jalousie et autres fluctuations de l’âme, soit parce qu’elles naissent du mélange des passions déjà définies, soit parce qu’elles n’ont pas reçu de l’usage des noms particuliers ; ce qui prouve qu’il suffit pour la pratique de la vie de connaître ces passions en général. Du reste, il résulte clairement de la définition des passions que nous avons expliquées, qu’elles naissent toutes du désir, de la joie ou de la tristesse ; ou plutôt qu’elles ne sont que ces trois passions primitives, dont chacune reçoit de l’usage des noms divers suivant ses différentes relations et dénominations extrinsèques. Si donc on veut faire attention à la nature de ces trois passions primitives et à ce que nous avons déjà dit touchant la nature de l’âme, on pourra définir les passions, en tant qu’elles se rapportent à l’âme, de la manière suivante :
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