EIV - Proposition 34 - scolie

  • 16 juin 2004

J’ai dit que Paul peut avoir Pierre en haine, parce qu’il imagine que Pierre possède ce qu’il aime aussi, lui Paul ; il semble suivre de là d’abord que ces deux hommes se portent dommage l’un à l’autre parce qu’ils aiment le même objet et conséquemment s’accordent en nature ; et, si cela est vrai, les Propositions 30 et 31 seraient donc fausses. Si cependant nous voulons peser l’argument dans une balance juste, nous verrons que tout cela s’accorde entièrement. Ces deux hommes ne sont pas sujets de peine l’un pour l’autre en tant qu’ils s’accordent en nature, c’est-à-dire aiment tous deux le même objet, mais en tant qu’ils diffèrent l’un de l’autre. En tant en effet que tous deux aiment le même objet, l’amour de l’un et de l’autre est par là alimenté (Prop. 31, p. III), c’est-à-dire (Déf. 6 des Aff.) que la Joie de l’un et de l’autre est par là alimentée. Il s’en faut donc de beaucoup qu’ils soient sujets de peine l’un pour l’autre en tant qu’ils aiment le même objet et s’accordent en nature. Ce qui les rend sujets de peine l’un pour l’autre, ce n’est aucune autre cause, comme je l’ai dit, que la différence de nature supposée entre eux. Nous supposons en effet que Pierre a l’idée d’une chose aimée, actuellement possédée par lui, et Paul, au contraire, celle d’une chose aimée actuellement perdue. Par là il arrive que l’un est affecté de Tristesse, l’autre de Joie, et que dans cette mesure ils sont contraires l’un à l’autre. Et, nous pouvons facilement le montrer de cette manière, les autres causes de haine dépendent de cela seul que les hommes diffèrent en nature et non de ce en quoi ils s’accordent. [*]


Dixi quod Paulus odio Petrum habeat quia imaginatur id eundem possidere quod ipse Paulus etiam amat ; unde prima fronte videtur sequi quod hi duo ex eo quod idem amant et consequenter ex eo quod natura conveniunt, sibi invicem damno sint atque adeo si hoc verum est, falsæ essent propositio 30 et 31 hujus partis. Sed si rem æqua lance examinare velimus, hæc omnia convenire omnino videbimus. Nam hi duo non sunt invicem molesti quatenus natura conveniunt hoc est quatenus uterque idem amat, sed quatenus ab invicem discrepant. Nam quatenus uterque idem amat, eo ipso utriusque amor fovetur (per propositionem 31 partis III) hoc est (per definitionem 6 affectuum) eo ipso utriusque lætitia fovetur. Quare longe abest ut quatenus idem amant et natura conveniunt, invicem molesti sint. Sed hujus rei causa ut dixi nulla alia est quam quia natura discrepare supponuntur. Supponimus namque Petrum ideam habere rei amatæ jam possessæ et Paulum contra ideam rei amatæ amissæ. Unde fit ut hic tristitia et ille contra lætitia afficiatur atque eatenus invicem contrarii sint. Et ad hunc modum ostendere facile possumus reliquas odii causas ab hoc solo pendere quod homines natura discrepant et non ab eo in quo conveniunt.


[*(Saisset :) J’ai dit que Paul prenait Pierre en haine, parce qu’il se représentait Pierre comme possesseur de l’objet pour lequel lui, Paul, a de l’amour. Il semble, au premier abord, résulter de là que deux hommes, de cela seul qu’ils aiment le même objet, c’est-à-dire qu’ils ont une certaine conformité de nature, sont l’un pour l’autre une source de mal ; or, s’il en est ainsi, les Propos. 30 et 31, sont fausses. Mais si on veut examiner la chose d’une manière impartiale, on verra qu’il y a parfait accord dans toutes les parties de notre doctrine ; car ces deux personnes dont nous avons parlé ne cherchent pas à se nuire réciproquement, en tant qu’elles ont une certaine conformité de nature, en tant qu’elles aiment un même objet, mais bien en tant qu’elles diffèrent l’une de l’autre. En effet, en tant qu’elles aiment toutes deux le même objet, l’amour de chacune d’elles se trouve augmenté (par la Propos. 31, part. 3), et partant leur joie (par la Déf. 6 des Passions). Ainsi donc, il s’en faut bien qu’elles soient l’une à l’autre une cause d’ennui en tant qu’elles aiment le même objet et ont une certaine conformité de nature. La vraie cause de leur inimitié, comme je l’ai dit, c’est qu’on suppose entre elles une opposition de nature. On suppose en effet que Pierre a l’idée d’un objet aimé qu’il possède, et Paul, l’idée d’un objet aimé qu’il a perdu. D’où il suit que Paul est plein de tristesse et Pierre plein de joie ; or sous ce point de vue, Pierre et Paul sont de nature contraire. Il me serait aisé de montrer de la même manière que toutes les autre causes de haine dépendent non point de la conformité, mais de l’opposition qui se rencontre dans la nature des hommes.

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