EV - Proposition 7

  • 3 juillet 2004

Les affections tirant leur origine de la Raison ou excitées par elle, sont, si l’on tient compte du temps, plus puissantes que celles qui se rapportent à des choses singulières considérées comme absentes.

DÉMONSTRATION

Nous ne considérons pas une chose comme absente par suite de l’affection qui nous fait l’imaginer, mais parce que le Corps éprouve une autre affection excluant l’existence de cette chose (Prop. 17, p. II). C’est pourquoi l’affection se rapportant à la chose considérée comme absente n’est pas d’une nature telle qu’elle l’emporte sur les autres actions et la puissance de l’homme (voir à leur sujet Prop. 6, p. IV), mais, au contraire, d’une nature telle qu’elle puisse être réduite en quelque manière par les affections excluant l’existence de sa cause extérieure (Prop. 9, p. IV). Or une affection tirant son origine de la Raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses (voir la défin. de la Raison dans le Scolie 2 de la Prop. 40, p. II), que nous considérons toujours comme présentes (il ne peut rien y avoir en effet qui en exclue l’existence présente), et que nous imaginons toujours de la même manière (Prop. 38, p. II). C’est pourquoi une telle affection demeure toujours la même, et en conséquence les affections qui lui sont contraires et qui ne sont point alimentées par leurs causes extérieures, devront (Axiome 1) de plus en plus s’accommoder à elle jusqu’à ce qu’elles ne lui soient plus contraires ; et en cela une affection tirant son origine de la Raison est plus puissante. C.Q.F.D. [*]


Affectus qui ex ratione oriuntur vel excitantur, si ratio temporis habeatur, potentiores sunt iis qui ad res singulares referuntur quas ut absentes contemplamur.

DEMONSTRATIO :

Rem aliquam ut absentem non contemplamur ex affectu quo eandem imaginamur sed ex eo quod corpus alio afficitur affectu qui ejusdem rei existentiam secludit (per propositionem 17 partis II). Quare affectus qui ad rem quam ut absentem contemplamur, refertur, ejus naturæ non est ut reliquas hominis actiones et potentiam superet (de quibus vide propositionem 6 partis IV) sed contra ejus naturæ est ut ab iis affectionibus quæ existentiam externæ ejus causæ secludunt, coerceri aliquo modo possit (per propositionem 9 partis IV). At affectus qui ex ratione oritur, refertur necessario ad communes rerum proprietates (vide rationis definitionem in II scholio propositionis 40 partis II) quas semper ut præsentes contemplamur (nam nihil dari potest quod earum præsentem existentiam secludat) et quas semper eodem modo imaginamur (per propositionem 38 partis II). Quare talis affectus idem semper manet et consequenter (per axioma 1 hujus) affectus qui eidem sunt contrarii quique a suis causis externis non foventur, eidem magis magisque sese accommodare debebunt donec non amplius sint contrarii et eatenus affectus qui ex ratione oritur, est potentior. Q.E.D


[*(Saisset :) Les passions qui proviennent de la raison ou qui sont excitées par elle sont plus puissantes, si l’on a égard au temps, que celles qui se rapportent aux objets particuliers que nous considérons comme absents. Démonstration Ce qui nous fait considérer une chose comme absente, ce n’est point l’impression dont nous affecte son image, c’est une autre impression que reçoit le corps, et qui exclut l’existence de cette chose (par la Propos. 17, part. 2). Ainsi donc, l’affection qui se rapporte à un objet que nous considérons comme absent n’est point de nature à surpasser les autres actions et la puissance de l’homme (voyez sur ce point la Propos. 6, part. 4) ; elle est de nature, au contraire, à pouvoir être empêchée en quelque façon par ces affections qui excluent l’existence de sa cause extérieure (par la Propos. 9, part. 4). Or, toute passion qui provient de la raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses (voyez la Déf. de la raison dans le Scol. 2 de la propos. 40, part. 2), lesquelles sont toujours considérées comme présentes, rien ne pouvant exclure leur présente existence, et imaginées de la même manière (par la Propos. 38, part. 2). Par conséquent, une telle passion reste toujours la même ; et il en résulte (par l’Ax. l) que les passions qui lui sont contraires, et ne sont point entretenues par leurs causes extérieures, doivent se mettre de plus en plus d’accord avec cette passion permanente, jusqu’à ce qu’elles cessent de lui être contraires, et il est évident que, sous ce point de vue, les passions qui proviennent de la raison sont plus puissantes que les autres. C. Q. F. D.

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