TTP - chap. X - §§1-11 : la composition des autres livres de l’Ancien Testament.

  • 14 avril 2006


1. §1 : Paralipomènes.

[1] Je passe aux autres parties de l’Ancien Testament. A l’égard des deux livres des Paralipomènes, je n’ai rien à dire de certain qui en vaille la peine, sinon qu’ils ont dû être écrits longtemps après Esdras et peut-être après la restauration du Temple par Judas Machabée [1]. Au chapitre IX du livre l, en effet, l’historien raconte quelles familles ont habité Jérusalem à l’origine (c’est-à-dire du temps d’Esdras) ; plus loin, au verset 17, il nomme des Gardiens de porte parmi lesquels deux sont indiqués aussi dans Néhémie (chap. XI, v. 19). Cela montre que ces livres furent écrits longtemps après la réédification de la Ville. Je ne sais d’ailleurs rien d’assuré concernant le véritable Auteur de chacun d’eux, l’autorité qu’il faut leur reconnaître, leur utilité et la doctrine qu’ils exposent. Je trouve même bien surprenant que ces livres aient été admis au nombre des livres sacrés alors que l’on rejeta du canon le livre de la Sagesse, celui de Tobie et d’autres qu’on dit apocryphes. Mon intention n’est d’ailleurs pas de diminuer leur autorité ; puisqu’ils sont universellement admis, je les laisse ici de côté tels qu’ils sont.

2. §2 : Psaumes.

[2] Les Psaumes aussi furent recueillis et répartis en cinq livres après que le Temple eut été reconstruit ; d’après le témoignage de Philon le Juif en effet, le psaume LXXXVIII fut publié alors que le roi Joachin était encore en prison à Babylone et le psaume LXXXIX alors qu’il avait recouvré la liberté ; et je ne crois pas que Philon eût jamais dit cela si ce n’avait été une opinion reçue de son temps ou s’il ne l’avait tenu d’autres personnes dignes de foi.

3. §3 : Proverbes.

[3] Je crois que les Proverbes de Salomon furent réunis à la même époque ou au moins au temps du roi Josias, et cela parce qu’au chapitre XXIV, dernier verset, il est dit : Tels sont les Proverbes de Salomon que les hommes d’Ezéchias, roi de Juda, ont transmis. Je ne puis passer sous silence ici l’audace des Rabbins qui voulaient exclure ce livre en même temps que l’Ecclésiaste, du canon des Livres Sacrés et garder secrets d’autres livres qui nous manquent. Ils l’auraient fait s’ils n’avaient pas trouvé certains passages où la loi de Moïse est recommandée. On doit déplorer certes que les choses sacrées et les meilleures aient dépendu du choix de ces hommes. Je leur sais gré, à la vérité, d’avoir bien voulu nous communiquer ces livres, mais il m’est impossible ne pas me demander s’ils les ont transmis avec une foi scrupuleuse, sans que je veuille cependant soumettre ici cette question à un examen sévère.

4. §§4-7 : Prophètes.

[4] Je passe donc aux livres des Prophètes. Quand je les considère, je vois que les Prophéties qui y sont réunies, ont été prises dans d’autres livres et rangées dans un ordre qui n’est pas toujours celui qu’avaient suivi les Prophètes dans leurs discours ou dans leurs écrits ; et ces livres ne contiennent pas non plus toutes les prophéties, mais seulement celles qu’on avait pu trouver ici ou là ; ces livres ne sont donc que des fragments des Prophètes. Isaïe en effet commença de prophétiser sous le règne d’Osias, comme l’atteste son copiste au premier verset, mais il ne se contenta pas de prophétiser à cette époque, il écrivit toutes les actions de ce roi (voir Paralip., liv. II, chap. XXVI, v. 22), et nous n’avons pas son livre ; ce que nous avons, nous l’avons montré [2], a été transcrit des Chroniques des rois de Juda et d’Israël. Ajoutez que, d’après les Rabbins, ce Prophète a prophétisé aussi sous le règne de Manassé, par qui il aurait enfin été mis à mort ; bien que cette histoire semble être une fable, elle montre qu’ils n’ont pas cru avoir les Prophéties d’Isaïe au complet.

[5] Les Prophéties de Jérémie également, qui sont en forme de récit, sont une collection de morceaux pris dans différentes Chroniques. Outre que, en effet, elles forment un amas sans ordre, où il n’est tenu aucun compte des dates, on y trouve plusieurs versions de la même histoire. Au chapitre XXI est indiquée la cause de la première arrestation de Jérémie, qui est qu’il avait prédit à Sédécias, venu le consulter, la dévastation de la ville ; puis le récit s’interrompt et au chapitre XXII se trouve le discours tenu par Jérémie à Joachin qui régna avant Sédécias, et la prédiction de la captivité du roi, après quoi, au chapitre XXV, vient la révélation faite au Prophète antérieurement, je veux dire la quatrième année du règne de Joachin. Les chapitres suivants contiennent la révélation faite la première année du règne et continuent à entasser les prophéties sans tenir aucun compte de l’ordre de date, jusqu’à ce qu’enfin, au chapitre XXXVIII, reprenne le récit commencé au chapitre XXI (comme si les quinze chapitres intermédiaires fermaient une parenthèse). La conjonction par laquelle débute le chapitre XXXVIII se rapporte en effet aux versets 8, 9 et 10 du chapitre XXI, et à cet endroit se place un récit de la dernière arrestation de Jérémie, tout différent de celui du chapitre XXXVII, de même que la cause de sa longue détention dans le vestibule de la prison est rapportée tout autrement. On voit clairement par là que toute cette partie du livre de Jérémie est une collection de morceaux pris dans divers historiens et que nulle autre raison ne saurait excuser ce désordre. Pour les autres Prophéties contenues dans les autres chapitres où Jérémie parle à la première personne, elles semblent transcrites du livre qu’avait écrit Baruch sous la dictée de Jérémie lui-même. Ce livre en effet (comme il est établi parle chapitre XXXVI, verset 2) contenait seulement les révélations faites à ce Prophète depuis le temps de Josias jusqu’à la quatrième année du règne de Joachin, et c’est à ce moment que commence aussi le livre. Du même volume de Baruch semble aussi tiré ce qui se trouve depuis le chapitre XLV, verset 2, jusqu’au chapitre LI, verset 59.

[6] Pour ce qui est du livre d’Ézéchiel, les premiers versets indiquent le plus clairement du monde que c’est un fragment. Qui ne voit que la conjonction par laquelle il commence, se rapporte à des choses déjà dites et y rattache ce qui va suivre ? Et ce n’est pas seulement la conjonction, c’est tout l’ensemble du texte qui invite à supposer une partie manquante ; l’indication donnée sur l’âge du Prophète, qui a trente ans quand commence le livre, nous montre qu’il ne s’agit pas d’un début dans la Prophétie mais d’une continuation. Celui qui écrit, le fait lui-même observer par cette parenthèse au verset 3 : Dieu avait souvent parlé à Ézéchiel, fils de Buzi, prêtre dans le pays des Chaldéens, etc., comme s’il voulait dire que les paroles d’Ézéchiel transcrites jusque-là se rapportaient à d’autres révélations, antérieures à la trentième année. De plus Josèphe, au livre X des Antiquités, chapitre VII, raconte que, d’après la prédiction d’Ézéchiel, Sédécias ne devait pas voir Babylone ; or, dans le livre que nous avons, on ne lit rien de semblable, mais au contraire au chapitre XVII, que Sédécias serait conduit en captivité à Babylone [3].

[7] Au sujet d’Osée, nous ne pouvons dire avec assurance qu’il en ait écrit plus long qu’il n’y en a dans le livre mis sous son nom. Je suis cependant surpris que nous n’ayons rien de plus d’un homme qui, suivant le témoignage de l’Écriture, prophétisa plus de quatre-vingt-quatre ans.

Du moins savons-nous en général que les personnes qui ont écrit les livres des Prophètes, n’ont pas réuni les Prophéties de tous les Prophètes, non plus que toutes les Prophéties de ceux que nous avons. Ainsi nous n’avons rien des Prophètes qui ont prophétisé sous le règne de Manassé et dont il est fait mention en termes généraux au livre II des Paralipomènes (chap. XXXIII, vs. 10, 18, 19) ; et nous n’avons pas non plus toutes les Prophéties des douze Prophètes de l’Écriture. Ainsi de Jonas seules les Prophéties sur les Ninivites sont reproduites, et il avait cependant prophétisé pour les Israélites, comme on peut le voir dans les Rois (liv. II, chap. XIV, v. 25).

5. §8 : Job.

[8] Au sujet du livre de Job et de Job lui-même, il y a eu de longues discussions entre les Commentateurs. Il y en a qui pensent que Moïse est l’auteur de ce livre et que toute l’histoire n’est qu’une parabole ; c’est ce qu’enseignent quelques Rabbins dans le Talmud et Maïmonide aussi dans son livre More Nebuchim [4] se prononce dans ce sens. D’autres ont cru que c’était une histoire vraie ; quelques-uns parmi ces derniers ont pensé que Job avait vécu au temps de Jacob et avait eu pour femme sa fille Dina. En revanche Aben Ezra, dont j’ai parlé ci-dessus [5], dans un commentaire sur ce livre, affirme, qu’il a été traduit en hébreu d’une autre langue ; je voudrais qu’il l’eût montré avec plus d’évidence, car nous en pourrions conclure que les Gentils ont eu eux aussi des livres sacrés. Je laisse donc ce point en suspens ; je conjecture cependant que Job fut un Gentil doué d’une grande constance, qui prospéra d’abord, puis connut la pire adversité et plus tard encore redevint très heureux. Ézéchiel en effet, au chapitre XIV, verset 14, le nomme parmi d’autres, et je crois aussi que ces vicissitudes et la constance dont Job fit preuve, ont fourni à plus d’un l’occasion de discuter de la providence de Dieu, et, au moins à l’auteur de ce livre, celle de composer un Dialogue dont le contenu comme le style ne semblent pas être d’un misérable accablé par la maladie, sous la cendre dont il est couvert, mais plutôt d’un homme de loisir qui s’adonne à la méditation dans un lieu consacré aux Muses. Et je serais disposé à croire avec Aben Ezra que ce livre a été traduit d’une autre langue parce qu’il rappelle la poésie des Gentils : Le Père des Dieux réunit deux fois son conseil, et Momus, qui porte ici le nom de Satan, relève les paroles de Dieu avec la plus grande liberté, etc. ; mais ce sont là de simples conjectures sans solidité.

6. §§9-11 : Daniel, Esdras, Esther, Néhémie.

[9] Je passe au livre de Daniel ; celui-là, sans aucun doute, contient le texte même écrit par Daniel à partir du chapitre VIII. Quant aux sept premiers chapitres, j’ignore quelle en peut être la provenance. Nous pouvons soupçonner puisque, sauf le premier, ils sont écrits en chaldéen, qu’ils sont tirés des Chroniques chaldéennes. Si cela était clairement établi, ce serait un témoignage très éclatant en faveur de cette thèse que l’Écriture est sacrée en tant que par elle nous connaissons les choses qui y sont signifiées, non en tant que nous connaissons les mots, c’est-à-dire la langue et les phrases par lesquelles ces choses sont exprimées ; et qu’en outre, les livres de doctrine ou d’histoire donnant de très bons enseignements, en quelle langue et par quelle nation qu’ils soient écrits, sont également sacrés. Du moins pouvons-nous noter que ces chapitres ont été écrits en chaldéen et n’en possèdent pas moins le même caractère sacré que les autres livres de la Bible.

[10] A ce livre de Daniel, le premier d’Esdras se rattache de telle façon qu’on reconnaît aisément qu’ils sont du même écrivain continuant de raconter l’histoire des Juifs depuis la première captivité. A ce livre d’Esdras, je n’hésite pas à rattacher le livre d’Esther, car la conjonction par où il commence ne peut se rapporter à aucun autre. Et il ne faut pas croire que ce livre d’Esther soit le même qu’écrivit Mardochée ; au chapitre IX, versets 20, 21, 22, l’auteur raconte en effet, au sujet de Mardochée, qu’il avait écrit des épîtres, et en fait connaître le contenu ; en second lieu, au verset 31 du même chapitre, que la reine Esther avait réglé la célébration de la fête des Sorts (Purim) et que son édit est écrit dans le livre, c’est-à-dire (en donnant au mot le sens qu’il avait en hébreu) dans un livre connu de tous à l’époque où écrivait celui qui fait le récit ; or ce livre, Aben Ezra reconnaît, et tout le monde est obligé de reconnaître avec lui, qu’il a péri en même temps que les autres. Enfin, pour d’autres renseignements sur Mardochée, l’histoire renvoie aux Chroniques des rois de Perse. Il ne faut donc pas douter que ce livre ne soit du même historien qui a écrit l’histoire de Daniel et celle d’Esdras ; et aussi le livre de Néhémie [6] parce qu’il est aussi appelé le second d’Esdras. Ces quatre livres donc, Daniel, Esdras, Esther et Néhémie, ont été écrits, nous l’affirmons, par le même historien ; quant à savoir qui il est, je ne puis même le soupçonner.

Pour savoir cependant d’où cet auteur, quel qu’il ait été, a eu connaissance de ces histoires et peut-être en a transcrit la plus grande partie, il faut noter que les premiers magistrats ou princes des Juifs après la réédification du temple, comme leurs rois dans l’ancien empire, ont eu des scribes où historiographes qui écrivaient, suivant l’ordre de date, des annales ou chroniques. Ces chroniques ou annales des rois sont citées à différentes reprises dans les livres des Rois ; celles des princes et des prêtres du deuxième temple le sont en premier lieu dans le livre de Néhémie (chap. XII, v. 23), ensuite dans le livre I des Machabées (chap. XVI, v. 24). Et sans aucun doute c’est là le livre (voir Esther, chap. IX, v. 32) dont nous parlions tout à l’heure et où se trouvait l’édit d’Esther et ce qu’avait écrit Mardochée, livre qu’avec Aben Ezra nous disions être perdu.

De ce livre donc semble être pris ou transcrit tout le contenu des quatre livres de l’Ancien Testament énumérés ci-dessus, nul autre en effet n’est cité par leur auteur et nous n’en connaissons nul autre d’autorité publiquement reconnue.

[11] Ces livres n’ont d’ailleurs été écrits ni par Esdras ni par Néhémie, comme on le voit par le tableau que donne Néhémie (chap. XII, vs. 10,11) de la descendance du grand prêtre Jesua jusqu’à Jeddoa, sixième grand-prêtre, lequel alla au-devant d’Alexandre le Grand après la chute de l’empire des Perses (voir Josèphe, Antiquités, liv. XI, chap. VIII), le même qui est appelé par Philon le Juif dans son livre des Époques, le sixième et dernier grand prêtre sous la domination perse. Cela est même clairement indiqué dans ce même chapitre de Néhémie au verset 22 : Depuis le temps d’Eliasib, de Joïada, de Jonathan et de Jeddoa, dit l’historien, sur [7] le règne de Darius le Perse les noms des Lévites ont été inscrits, inscrits veut-il dire dans ces Chroniques ; et je ne pense pas qu’il vienne à l’esprit de personne qu’Esdras [8] ou Néhémie aient pu survivre à quatorze rois de Perse ; c’est Cyrus le premier qui donna aux Juifs l’autorisation de reconstruire le Temple et, depuis ce moment jusqu’à Darius, quatorzième et dernier roi des Perses, on compte plus de 230 ans.

Je n’hésite donc pas à croire que ces livres ont été écrits longtemps après que Judas Machabée eut restauré le culte du Temple et qu’ils l’ont été parce qu’à ce moment de faux livres de Daniel, d’Esdras et d’Esther étaient publiés par des gens mal intentionnés appartenant sans doute à la secte des Saducéens ; les Pharisiens en effet n’ont jamais accepté ces livres que je sache. Et bien que quelques-unes des fables contenues dans le livre dît le quatrième d’Esdras se retrouvent dans le Talmud, il ne faut cependant pas les attribuer aux Pharisiens ; à part les plus stupides, en effet, nul qui n’ait vu, parmi eux, que ces fables étaient une addition de quelque mauvais plaisant ; je crois même que cette plaisanterie a pu être inspirée par le désir de tourner aux yeux de tous les traditions en dérision. Peut-être encore les livres en question furent-ils écrits et publiés à cette époque pour montrer au peuple l’accomplissement des prophéties de Daniel et affermir ainsi son sentiment religieux, l’empêcher de désespérer de l’avenir et du salut de la nation en présence des calamités du temps présent.

Toutefois, si récents et si tardivement écrits que soient ces livres, de nombreuses fautes s’y sont glissées, par la trop grande hâte des copistes, sauf erreur. On trouve en effet dans ces livres comme dans les autres et encore plus que dans les autres, de ces notes marginales dont nous avons parlé au précédent chapitre, et en outre certains passages qu’on ne peut expliquer autrement que par une erreur de transcription.



[1Voir note XXI .

[2Cf. supra, chap. IX, §2 (note jld).

[3Voir note XXII .

[4C’est Le Guide des égarés. Voyez IIIème Partie, chap. 22 et 23, trad. Munk, Verdier, 1979 (1986), pp.480-492 (note jld)

[5Cf. supra, chap. VII, 16 (note jld).

[6Voir note XXIII .

[7A moins que le mot du texte ne signifie au delà de, il y a là une erreur du copiste qui a écrit sur au lieu de jusqu’à. (Note de l’auteur.)

[8Voir note XXIV .

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