(1) Après avoir parlé dans la première partie de Dieu et des choses universelles et infinies, nous passerons dans celte deuxième partie à l’étude des choses particulières et finies ; non de toutes cependant, car elles sont innombrables, mais nous traiterons seulement de celles qui concernent l’homme ; et, pour commencer, nous considérerons premièrement ce qu’est l’homme, en tant qu’il se compose de certains modes compris dans les deux attributs que nous avons trouvés en Dieu.
(2) Je dis certains modes (...)
(1) Pour commencer donc à parler des modes dont l’homme est formé nous dirons : 1° ce qu’ils sont ; 2° leurs effets ; 3° leur cause.
Quant au premier point, commençons par ceux qui nous sont les premiers connus, savoir certains concepts ou la conscience de la connaissance de nous-mêmes et des choses qui sont en dehors de nous.
(2) Nous acquérons ces concepts ou bien :
1° Par la croyance seule ; laquelle croyance se forme ou par ouï-dire ou par expérience, ou bien :
2° Par une croyance droite, (...)
(1) Nous traiterons maintenant des effets des différentes connaissances dont nous avons parlé dans le précédent chapitre, et nous dirons encore une fois, comme en passant, ce qu’est l’opinion, la croyance et la connaissance claire.
(2) Nous appelons la première Opinion, parce qu’elle est sujette à l’erreur et n’a jamais lieu à l’égard de quelque chose dont nous sommes certains mais à l’égard de ce que l’on dit conjecturer ou supposer.
Nous appelons la deuxième Croyance parce que les choses que nous (...)
(1) Voyons donc maintenant comment, ainsi que nous venons de le dire, les passions naissent de l’opinion. Et pour le bien faire et intelligiblement, nous en prendrons quelques-unes, parmi les principales, comme exemples et nous démontrerons ce que nous dirons à leur sujet.
(2) L’étonnement sera la première qui se trouve dans celui qui connaît les choses par le premier mode ; car, tirant de quelques observations particulières une conclusion qui est générale, il est comme frappé de stupeur, quand il (...)
(1) Après avoir montré dans le précédent chapitre comment les passions naissent de l’erreur de l’opinion, voyons maintenant les effets des deux autres modes de connaissance, et, pour commencer, de celui que nous avons appelé la croyance droite.
(2) Ce mode de connaissance nous fait bien voir ce qu’il faut que soit la chose mais non ce qu’elle est vraiment. Et c’est la raison pour laquelle il ne peut jamais nous unir à la chose crue. Je dis donc qu’il nous enseigne seulement ce qu’il faut que soit la (...)
(1) Nous diviserons l’Amour, qui n’est autre chose que la jouissance d’une chose et l’union avec elle, suivant la nature de l’objet dont l’homme cherche à jouir et auquel il veut s’unir.
(2) Certains objets sont en eux-mêmes périssables, d’autres impérissables par leur cause ; un troisième est par sa propre force et sa seule puissance éternel et impérissable.
Les choses périssables sont toutes les choses particulières qui n’ont pas été de tout temps, mais qui ont pris commencement.
Les autres sont les (...)
(1) La Haine est une inclination à écarter de nous ce qui nous a causé quelque mal.
Il est à considérer maintenant comment nous produisons nos actions de deux façons, savoir : ou bien avec ou bien sans les passions. Avec les passions, comme on le voit communément chez les maîtres à l’égard de leurs serviteurs qui ont fait quelque faute, ce qui d’ordinaire ne se passe pas sans colère ; sans les passions comme on le raconte de Socrate qui, s’il lui fallait châtier un serviteur pour le corriger, ne le (...)
(1) Ayant vu de quelle nature sont la Haine et l’Étonnement, et que, nous pouvons le dire sûrement, jamais ces passions ne peuvent trouver place en ceux qui usent bien de leur entendement, nous continuerons de même et traiterons des autres passions ; et pour commencer, soient d’abord le Désir et la Joie ; à leur sujet, attendu qu’elles proviennent des mêmes causes d’où naît l’amour, nous n’avons rien à dire, sinon que nous devons nous rappeler ce que nous avons dit précédemment ; sur quoi nous les (...)
(1) Pour continuer nous parlerons de l’Estime et du Mépris, de la Noblesse et de l’Humilité, et de l’Orgueil et de l’Humilité vicieuse, Pour bien discerner dans ces passions le bien et le mal, nous les considérerons à part dans cet ordre.
(2) L’Estime et le Mépris donc ne sont relatifs qu’à quelque chose de grand ou de petit ; [ces passions sont en nous] quand nous jugeons telle une chose, que ce qui est grand ou petit soit en nous ou hors de nous.
(3) La Noblesse n’a pas d’objet en dehors de (...)
(1) De l’Espérance et de la Crainte, de la Sécurité, du Désespoir et de la Fluctuation, du Courage, de l’Audace et de l’Émulation, de la Pusillanimité et de la Consternation [B : et enfin de la Jalousie], nous commencerons maintenant à parler ; nous les prendrons, selon notre habitude, l’une après l’autre et nous montrerons lesquelles [de ces passions] sont pour nous des entraves, lesquelles des auxiliaires.
Nous pourrons faire tout cela très facilement, pourvu que nous prenions garde aux idées que (...)
(1) Nous parlerons maintenant mais seulement en bref du remords et du repentir. Ces passions ne naissent jamais que par surprise, car le remords a pour seule origine que nous faisons quelque chose au sujet de quoi nous doutons si c’est bon ou mauvais ; et le repentir provient de ce que nous avons fait quelque chose qui est mauvais.
(2) Y ayant beaucoup d’hommes qui - usant bien de leur entendement - parfois s’égarent (parce qu’alors l’habileté requise pour user toujours bien de leur entendement (...)
(1) La raillerie et la plaisanterie reposent sur une opinion fausse et font connaître une imperfection dans le Railleur et le Plaisant.
Elles reposent sur une opinion fausse, puisqu’on s’imagine que celui de qui l’on se moque est la cause première de ses œuvres et qu’elles ne dépendent pas avec nécessité de Dieu (comme toutes les autres choses existant dans la Nature). Elles font connaître une imperfection dans le Railleur, car l’objet de la moquerie est ou n’est pas de telle nature qu’il mérite (...)
(1) Nous parlerons maintenant brièvement de l’honneur, de la honte et de l’impudence.
Le premier est une certaine sorte de joie que quelqu’un ressent en lui-même quand il perçoit que sa façon d’agir est estimée et prisée par d’autres, sans qu’ils aient en vue aucun autre avantage ou profit.
La Honte est une certaine sorte de tristesse qui naît en quelqu’un quand il voit que sa façon d’agir est méprisée par d’autres, sans qu’ils aient égard à aucun détriment ou dommage subi ou à subir.
L’Impudence (...)
Chapitre XII
(1) Viennent maintenant la faveur, la reconnaissance et l’ingratitude.
Pour les deux premières, elles sont une inclination qu’a l’âme à vouloir et à faire quelque bien au prochain. Je dis à vouloir quand il s’agit d’un bien fait à celui qui a lui-même fait quelque bien. Je dis à faire quand nous-mêmes avons obtenu ou reçu quelque bien.
(2) Je sais bien que, selon le jugement de la plupart des hommes, ces affections sont bonnes ; j’ose dire néanmoins qu’elles ne peuvent trouver place (...)
(1) Le regret est le dernier objet dont nous parlerons dans l’étude des passions, que nous terminerons par lui. Le regret est donc une certaine sorte de tristesse qui naît de la considération d’un bien que nous avons perdu, et cela sans que nous ayons aucun espoir de le retrouver. Il nous fait connaître son imperfection de telle façon que, si seulement nous l’envisageons, nous le déclarons aussitôt mauvais ; car nous avons démontré précédemment qu’il est mauvais de se lier et de s’attacher à des choses (...)
(1) Voyons maintenant ce qui en est du vrai et du faux que nous fait connaître le quatrième et dernier effet de la croyance vraie.
Pour ce nous poserons d’abord la définition de la Vérité et de la Fausseté.
La Vérité est une affirmation ou une négation relative à une chose s’accordant avec cette même chose.
La Fausseté est une affirmation ou une négation relative à une chose ne s’accordant pas avec cette même chose.
(2) S’il en est ainsi cependant il semble qu’entre l’idée vraie et la faussé il n’y (...)
(1) Sachant maintenant ce qu’est le Bien et le Mal, la Vérité et la Fausseté, comme aussi en quoi consiste la santé d’âme d’un homme parfait, il sera temps d’en venir à l’étude de nous-mêmes et de voir une fois si c’est par libre volonté ou en vertu d’une nécessité que nous arrivons à un tel état de santé.
Pour cela, il faut rechercher ce qu’est la Volonté, pour ceux qui admettent la Volonté, et en quoi elle se distingue du Désir.
(2) Le Désir, avons-nous dit, est l’inclination qu’a l’âme pour quelque chose (...)
(1) Puisqu’il est manifeste donc que nous n’avons pour affirmer ou nier aucune [B : libre] volonté, voyons maintenant une fois la différence réelle et véritable entre la volonté et le désir, ou ce que peut être proprement la Volonté que les Latins ont appelée Voluntas.
(2) Selon la définition d’Aristote, le Désir semble être un genre comprenant deux espèces ; car il dit que la Volonté est l’appétit ou la convoitise que l’on a de ce qui paraît être bon. D’après quoi il me semble que dans son idée le Désir (ou (...)
(1) Nous voyons donc que l’homme, comme étant une partie de l’ensemble de la Nature, de laquelle il dépend et par laquelle il est aussi gouverné, ne peut rien faire de lui-même pour son salut et la santé de son âme. Voyons donc maintenant quelle sorte d’utilité peut provenir pour nous de ces propositions que nous soutenons ; d’autant que, nous n’en doutons pas, elles paraîtront fort choquantes à plusieurs.
(2) En premier lieu, il s’ensuit que nous sommes en vérité serviteurs et, je dirai, esclaves de (...)
(1) Après avoir vu la multiple utilité de la Croyance Droite, nous nous efforcerons de remplir la promesse faite antérieurement ; à savoir de rechercher si, par la connaissance que nous avons acquise de ce qui est bon, de ce qui est mauvais, de ce qu’est la vérité et la fausseté et de ce qu’est d’une manière générale l’utilité de tout cela, si par là, dis-je, nous pouvons parvenir à notre santé, c’est-à-dire à l’Amour de Dieu, en quoi consiste, comme nous l’avons observé, notre souveraine félicité ; et aussi (...)
(1) Au sujet de ce que nous disions dans le chapitre précédent, on pourrait soulever les difficultés suivantes :
1. Si le mouvement n’est pas la cause des passions, comment peut-il se faire qu’on chasse cependant la tristesse par certains moyens, comme on le fait souvent par le vin ?
(2) Il faut répondre ici qu’on doit distinguer entre la perception de l’âme au moment même où elle perçoit le corps et le jugement par lequel elle décide aussitôt s’il est bon ou mauvais pour elle. Quand donc l’âme est (...)
(1) Nous avons à rechercher maintenant d’où vient que parfois, bien que voyant qu’une chose est bonne ou mauvaise, nous ne trouvons cependant en nous aucun pouvoir de faire le bien ou de renoncer au mal ; et parfois, au contraire [le trouvons] bien.
(2) Nous pouvons concevoir cela aisément si nous sommes attentifs aux causes que nous avons indiquées des opinions, elles-mêmes reconnues par nous causes de nos affections. Ces opinions, disions-nous, naissent ou bien par ouï-dire ou bien par (...)
(1) Puis donc que la Raison n’a pas le pouvoir de nous conduire à la santé de l’âme, il reste à examiner si nous pouvons y parvenir par le quatrième et dernier mode de connaissance. Nous avons dit d’ailleurs que cette sorte de connaissance ne se tire pas d’autre chose, mais naît de ce que l’objet lui-même se manifeste immédiatement à l’entendement et, si cet objet est magnifique et bon, l’âme lui sera nécessairement unie comme nous l’avons dit du corps.
(2) Il suit de là, sans contredit, que c’est la (...)
(1) Si nous considérons une fois avec attention ce qu’est l’Âme et d’où viennent son changement et sa durée, nous verrons aisément si elle est mortelle ou immortelle. Puisque nous avons dit déjà que l’âme est une idée qui est dans la chose pensante et qui naît de la réalité d’une chose qui est dans la Nature, il s’ensuit que tels le changement et la durée de la chose, tels aussi doivent être le changement et la durée de l’âme ; nous avons observé en outre que l’âme peut être unie ou bien au corps dont elle est (...)
(1) Nous croyons avoir jusqu’ici suffisamment montré ce qu’est notre amour de Dieu, comme aussi ses effets, savoir : notre propre durée éternelle. De sorte que nous n’estimons pas utile ici de rien dire d’autres choses, telles que la joie en Dieu, le repos de l’âme, etc., parce qu’après ce qui a été dit déjà, on peut voir aisément ce qui en est et ce qu’il y aurait à dire.
(2) Mais, puisque nous avons jusqu’ici parlé de notre amour de Dieu, il reste encore à voir s’il existe aussi un amour de Dieu pour (...)
(1) Nous dirons maintenant brièvement quelque chose au sujet des diables, s’ils sont ou ne sont pas, et cela comme il suit :
Si le Diable est une chose entièrement et absolument contraire à Dieu et qui n’a rien de Dieu, alors il est exactement identique au Néant, dont nous avons déjà parlé précédemment.
(2) Admettons donc avec quelques-uns qu’il est un être pensant qui ne veut ni ne fait absolument rien de bon et s’oppose ainsi en tout à Dieu ; il est donc fort misérable ; et si les prières pouvaient (...)
(1) Par notre proposition du chapitre précédent nous n’avons pas seulement voulu faire savoir qu’il n’y a pas de Diables, mais aussi que les causes (ou pour mieux dire ce que nous appelons péchés) qui nous empêchent de parvenir à notre perfection sont en nous-mêmes.
(2) Nous avons aussi montré dans ce qui précède de quelle façon, aussi bien par la raison que par la quatrième sorte de connaissance, nous parvenons à notre félicité, et comment nos passions doivent être détruites. Non, comme on le dit (...)
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