Axiome 11
L’existence de Dieu se connaît de la seule considération de sa nature. Démonstration
Dire que quelque chose est contenu dans la nature ou dans le concept d’une chose, c’est le même que de dire que ce quelque chose est vrai de cette chose (par la Définition 9). Or l’existence nécessaire est contenue dans le concept de Dieu (par l’Axiome 8). Donc il est vrai de dire de Dieu que l’existence nécessaire est en lui, ou qu’il existe.
Proposition 5 - (...)
De cette proposition découlent d’importantes conséquences ; de cela même, peut-on dire, que l’existence appartient à la nature de Dieu, ou que le concept de Dieu enveloppe l’existence nécessaire comme le concept du triangle que ses trois angles égalent deux droits ; ou que son existence, non moins que son essence, est une vérité éternelle, dépend presque toute la connaissance des attributs de Dieu, laquelle nous conduit à l’amour de Dieu (c’est-à-dire à la suprême béatitude). C’est pourquoi il serait (...)
Proposition 5 - Scolie
L’existence de Dieu est démontrée a posteriori de cela seul que son idée est en nous. Démonstration
La réalité objective de chacune de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue non pas simplement objectivement mais formellement ou éminemment (par l’Axiome 9). Or nous avons l’idée de Dieu (par les Définitions 2 et 8) et la réalité objective de cette idée n’est contenue en nous ni éminemment ni formellement (par l’Axiome 4) et elle ne peut être (...)
Il y a des hommes qui nient qu’ils aient de Dieu aucune idée et qui cependant, à ce qu’ils disent, l’aiment et lui rendent un culte. Et alors même qu’on leur met sous les yeux la Définition et les attributs de Dieu on ne gagne rien ; pas plus en vérité que si l’on essayait d’apprendre à un aveugle de naissance la distinction des couleurs, telles que nous les voyons. A moins cependant que nous ne voulions les tenir pour un nouveau genre d’animaux, intermédiaire entre l’homme et la brute, nous devons (...)
Proposition 6 - Scolie
L’existence de Dieu est démontrée aussi de cela seul que nous-mêmes, qui avons son idée, existons.
Proposition 7 - Scolie
Pour démontrer cette proposition Descartes admet ces deux Axiomes : 1° Ce qui peut faire le plus ou le plus difficile peut aussi faire le moins ; 2° c’est une chose plus grande de créer ou (par l’Axiome 10) de conserver une substance que de créer ou conserver ses attributs ou propriétés.
Je ne sais pas ce qu’il veut dire par là. Qu’appelle-t-il facile et difficile en effet ? Nulle chose n’est dite facile ou difficile absolument mais seulement eu égard à sa cause. De sorte qu’une seule et même chose, (...)
Plus une chose est parfaite de sa nature, plus grande et plus nécessaire est l’existence qu’elle enveloppe ; et inversement plus grande et plus nécessaire est l’existence qu’une chose enveloppe de sa nature, plus parfaite elle est.
Démonstration
Dans l’idée ou le concept de toute chose est contenue l’existence (par l’Axiome 6). Soit donc A une chose supposée avoir dix degrés de perfection. Je dis que son concept contient plus d’existence que si elle était supposée contenir seulement cinq degrés de (...)
Proposition 7 - Lemme 1
Il suit de là que tout ce qui enveloppe l’existence nécessaire est l’être suprêmement parfait, c’est-à-dire Dieu.
Proposition 7 - Lemme 2
Proposition 7 - Lemme 2
Qui a le pouvoir de se conserver, sa nature enveloppe l’existence nécessaire. Démonstration
Qui a la force de se conserver a aussi la force de se créer (par l’Axiome 10), c’est-à-dire (comme tous l’accorderont facilement) n’a besoin d’aucune cause extérieure pour exister, sa seule nature étant pour lui cause suffisante d’existence soit possible soit nécessaire. Mais ce ne peut être d’existence possible, car alors (parce qui a été démontré au sujet de l’Axiome 10) il ne (...)
Si j’avais la force de me conserver, je serais d’une nature telle que j’envelopperais l’existence nécessaire (par le Lemme 1) donc (par le corollaire du Lemme 2) ma nature contiendrait toutes les perfections. Or, je trouve en moi, en tant que je suis chose pensante, beaucoup d’imperfections (par exemple, que je doute, que je désire, etc.) dont je suis certain (par le Scolie de la Proposition 4) ; je n’ai donc aucun pouvoir de me conserver. Et je ne puis dire que je manque de ces perfections, parce (...)
Proposition 7 - Démonstration
Dieu peut faire toutes les choses que nous percevons clairement en la manière que nous les percevons. Démonstration
Toutes ces choses suivent clairement de la Proposition précédente. L’existence de Dieu y est en effet déduite de ce que quelque être doit exister en qui soient toutes les perfections dont quelque idée est en nous. Or, nous avons en nous l’idée d’une puissance si grande que, par celui seul en qui elle réside, le ciel, la terre et toutes les autres choses (...)
L’esprit et le corps sont réellement distincts.
Démonstration
Tout ce que nous percevons clairement peut être fait par Dieu en la manière que nous le percevons (par le Corollaire de la Proposition précédente). Mais nous percevons clairement l’esprit c’est-à-dire (par la Définition 6) une substance pensante, sans le corps, c’est-à-dire (par la Définition 7) sans une substance étendue (par les Propositions 3 et 4) et inversement le corps sans l’esprit (comme tous l’accordent facilement). Donc, au moins (...)
Dieu est suprêmement connaissant.
Démonstration
Si on le nie, c’est donc que Dieu, on bien ne connaît rien, ou bien ne connaît pas tout, mais seulement certaines choses. Mais connaître seulement certaines choses et ignorer les autres suppose un entendement limité et imparfait qu’il est absurde d’attribuer à Dieu (par la Définition 8). Quant à ne rien connaître, ou bien cela indique en Dieu un manque de capacité de connaître, comme il arrive pour les hommes, lorsqu’ils ne connaissent rien, et dans ce (...)
Proposition 9
Bien qu’il faille accorder que Dieu est incorporel comme le montre la Proposition 16, cela cependant ne doit pas être entendu comme si toutes les perfections de l’Étendue devaient être écartées de lui, mais seulement en tant que la nature de l’étendue et ses propriétés enveloppent quelque imperfection. Il faut dire la même chose de la capacité de connaître de Dieu, comme l’avouent tous ceux qui veulent s’élever par la clarté de la pensée au-dessus de la foule des Philosophes, ainsi qu’il (...)
Proposition 9 - Scolie
Tout ce qui se trouve de perfection en Dieu est de Dieu. Démonstration
Si on le nie, supposons qu’il existe en Dieu quelque perfection qui ne soit pas de Dieu. Cette perfection sera en Dieu, ou bien par elle-même, ou bien par quelque être différent de Dieu. Si elle est par elle-même, elle a donc l’existence nécessaire [*] (par le Lemme 2 de la Proposition 7), elle sera donc quelque chose de parfait au suprême degré et ainsi (par la Définition 8) sera Dieu. Si donc on dit (...)
Il n’existe pas plusieurs Dieux.
Démonstration
Si on le nie que l’on conçoive, s’il est possible, plusieurs Dieux, par exemple A et B. Alors nécessairement (par la Proposition 9), aussi bien A que B sera suprêmement connaissant, c’est-à-dire que A connaîtra toutes choses, donc se connaîtra lui-même et aussi B ; et inversement B se connaîtra lui-même et aussi A. Mais comme A et B existent nécessairement (par la Proposition 5), la cause de la vérité et de la nécessité de l’idée de B, qui est en A, est B (...)
Proposition 11
Tout ce qui est, est conservé par la seule force de Dieu. Démonstration
Si on le nie que l’on suppose quelque chose qui se conserve soi-même ; il faudra donc (par le Lemme 2 de la Proposition 7) que sa nature enveloppe l’existence nécessaire ; et par suite (par le Corollaire du Lemme 1 de la Proposition 7) cette chose serait Dieu ce qui est absurde (par la Proposition précédente). Donc rien n’existe qui ne soit conservé par la seule force de Dieu.
C. Q. F. D.
Proposition 12 - (...)
Proposition 12
Dieu est créateur de toutes choses. Démonstration
Dieu (par la Proposition précédente) conserve tout, c’est-à-dire (par l’Axiome 10) qu’il a créé tout ce qui existe et continue de le créer.
Proposition 12 - Corollaire 2
Les choses n’ont d’elles-mêmes aucune essence qui soit cause d’une connaissance contenue en Dieu ; mais au contraire Dieu est cause des choses en ce qui concerne aussi leurs essences.
Démonstration
Comme il ne se trouve en Dieu aucune perfection qui ne soit de Dieu (par la Proposition 10), les choses n’auront d’elles-mêmes aucune essence qui puisse être cause d’une connaissance contenue en Dieu. Mais, au contraire, comme Dieu non seulement n’a pas fait naître d’autre chose, mais a entièrement créé (...)
Proposition 12 - Corollaire 2
Il suit de là clairement que Dieu ne sent et à proprement parler ne perçoit rien ; car son entendement n’est déterminé par aucune chose extérieure à lui, mais tout coule de lui.
Proposition 12 - Corollaire 4
Proposition 12 - Corollaire 3
Dieu est, par sa causalité, antérieur à l’essence et à l’existence des choses, comme il suit clairement des Corollaires I et II de la précédente Proposition.
Proposition 13
Dieu est véridique au suprême degré, il n’est aucunement trompeur.
Démonstration
Nous ne pouvons rien attribuer par fiction à Dieu (par la Définition 8), en quoi nous reconnaissions quelque imperfection. Et comme toute tromperie (ainsi qu’il est connu de soi) ou volonté de tromper n’a d’autre origine que la crainte ou la malice, nulle tromperie ou volonté de tromper ne pourra être attribuée à Dieu, c’est-à-dire à un être puissant et bon au suprême degré, mais au contraire on devra le dire suprêmement (...)
Proposition 13
Tout ce que nous percevons clairement et distinctement est vrai. Démonstration
La faculté de discerner le vrai d’avec le faux qui est en nous (comme chacun le découvre en lui-même et comme on peut le voir dans tout ce qui a été déjà démontré) a été créée par Dieu et est continûment conservée par lui (par la Proposition 12 et ses Corollaires) ; c’est-à-dire (par la Proposition précédente) par un être véridique au plus haut point et nullement trompeur ; et il ne nous a donné aucun pouvoir (...)
Proposition 14
Comme ces choses, auxquelles nous donnons nécessairement notre assentiment parce que nous les percevons clairement et distinctement, sont vraies nécessairement ; et que nous avons (comme chacun le découvre en soi-même) la faculté de refuser notre assentiment à celles qui sont obscures et douteuses, c’est-à-dire, ne sont pas déduites des principes les plus certains, il suit de là clairement que nous pouvons toujours prendre garde à ne pas tomber dans l’erreur et à ne jamais nous (...)
Proposition 14 - Scolie
L’erreur n’est pas quelque chose de positif. Démonstration
Si l’erreur était quelque chose de positif elle aurait Dieu seul pour cause, et devrait être continûment créée par lui (par la Proposition 12). Or, cela est absurde (par la Proposition 13). Donc l’erreur n’est pas quelque chose de positif.
C.Q.F.D.
Proposition 15 - Scolie
Puisque l’erreur n’est pas quelque chose de positif elle ne pourra être autre chose que la privation du bon usage de la liberté (par le Scolie de la Proposition 14) ; et ainsi Dieu ne devra pas être dit cause de l’erreur ; sinon en ce sens où nous disons que l’absence du soleil est la cause des ténèbres, ou encore au sens où l’on dit que Dieu est cause de la cécité parce qu’il a créé un enfant semblable aux autres, à la vision près ; c’est-à-dire parce qu’il nous a donné un entendement s’étendant seulement (...)
Dieu est incorporel.
Démonstration
Le corps est sujet immédiat du mouvement dans l’espace (par la Définition 7), donc si Dieu était corporel, il serait divisé en parties ; or, cela enveloppant une imperfection, il est absurde (par la Définition 8) de l’affirmer de Dieu.
Autre Démonstration
Si Dieu était corporel, il pourrait être divisé en parties (par la Définition 7) et chacune des parties, ou bien pourrait subsister par elle-même, ou bien ne le pourrait pas ; si elle ne le pouvait pas elle (...)
Proposition 16
Dieu est un être tout à fait simple. Démonstration
Si Dieu était composé de parties, ces parties devraient être, de leur nature au moins, antérieures à Dieu (comme tous l’accorderont facilement) ce qui est absurde (par le Corollaire 4 de la Proposition 12). Dieu est donc un être tout à fait simple.
C.Q.F.D.
Proposition 17 - Corollaire
Proposition 17
Il suit de là que l’entendement de Dieu, sa volonté, ou son Décret, et sa Puissance ne se distinguent de son essence que par une distinction de raison.
Proposition 18
Proposition 17 - Corollaire
Dieu est immuable. Démonstration
Si Dieu était changeant, il ne devrait pas changer partiellement, mais devrait être changé suivant la totalité de son essence (par la Proposition 17). Mais l’essence de Dieu existe nécessairement (par les Propositions 5, 6 et 7) ; donc Dieu est immuable.
C.Q.F.D.
Proposition 19
Proposition 18
Dieu est éternel. Démonstration
Dieu est un être souverainement parfait (par la Définition 8). D’où suit (par la Proposition 5) qu’il existe nécessairement. Si nous lui attribuons une existence limitée, les limites de son existence doivent être nécessairement connues sinon de nous au moins de Dieu lui-même (par la Proposition 9), puisqu’il est suprêmement connaissant ; donc Dieu, par delà ces limites se connaîtra lui-même, c’est-à-dire connaîtra un être parfait (par la Définition 8) (...)
Proposition 19
Dieu a préordonné toutes choses de toute éternité. Démonstration
Puisque Dieu est éternel (par la Proposition précédente) sa connaissance sera éternelle, car elle appartient à son essence éternelle (par le Corollaire de la Proposition 17). Or, son entendement ne diffère pas réellement de sa volonté ou de son Décret (par le Corollaire de la Proposition 17) ; donc, en disant que Dieu a connu toutes choses de toute éternité, nous disons du même coup qu’il les a ainsi voulues et décrétées (...)
Proposition 20
Il suit de cette Proposition que Dieu est constant au suprême degré dans ses oeuvres.
Proposition 21
La substance étendue en longueur, largeur et profondeur existe réellement ; et nous sommes unis à une de ses parties.
La chose étendue, selon qu’il est perçu par nous clairement et distinctement, n’appartient pas à la nature de Dieu (par la Proposition 16) ; mais elle peut être créée par Dieu (par le Corollaire de la Proposition 7 et par la Proposition 8). D’autre part, nous percevons clairement et distinctement (comme chacun le trouve en soi en tant qu’il pense) que la substance étendue est une cause (...)
2002-2023 © Hyper-Spinoza - Tous droits réservés
Ce site est géré sous
SPIP 3.1.1 [22913]
et utilise le squelette
EVA-Web 4.2
Dernière mise à jour : mardi 8 septembre 2020