EII - Proposition 13 - (Lemme 7 - scolie)


Nous voyons donc par là dans quelle condition un Individu composé peut être affecté de beaucoup de manières, tout en conservant sa nature. Et nous avons jusqu’à présent conçu un Individu qui n’est composé que des corps les plus simples se distinguant entre eux par le mouvement et le repos, la vitesse et la lenteur. Si nous en concevons maintenant un autre, composé de plusieurs Individus de nature différente, nous trouverons qu’il peut être affecté de plusieurs autres manières, tout en conservant sa nature. Puisque, en effet, chaque partie est composée de plusieurs corps, chacune pourra (Lemme préc.) sans aucun changement de sa nature se mouvoir tantôt plus lentement, tantôt plus vite, et en conséquence communiquer ses mouvements aux autres parties, tantôt plus lentement, tantôt plus vite. Si, de plus, nous concevons un troisième genre d’Individus, composé de ces Individus du deuxième, nous trouverons qu’il peut être affecté de beaucoup d’autres manières sans aucun changement dans sa forme. Et, continuant ainsi à l’Infini, nous concevrons que la Nature entière est un seul Individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’Individu total. Et j’aurais dû, si mon intention eût été de traiter expressément du corps, expliquer et démontrer cela plus longuement. Mais j’ai déjà dit que mon dessein est autre et que, si j’ai fait place ici à ces considérations, c’est parce que j’en puis facilement déduire ce que j’ai résolu de démontrer. [*]


His itaque videmus qua ratione individuum compositum possit multis modis affici, ejus nihilominus natura servata. Atque hucusque individuum concepimus quod non nisi ex corporibus quæ solo motu et quiete, celeritate et tarditate inter se distinguuntur hoc est quod ex corporibus simplicissimis componitur. Quod si jam aliud concipiamus ex pluribus diversæ naturæ individuis compositum, idem pluribus aliis modis posse affici reperiemus, ipsius nihilominus natura servata. Nam quandoquidem ejus unaquæque pars ex pluribus corporibus est composita, poterit ergo (per lemma præcedens) unaquæque pars absque ulla ipsius naturæ mutatione jam tardius jam celerius moveri et consequenter motus suos citius vel tardius reliquis communicare. Quod si præterea tertium individuorum genus ex his secundis compositum concipiamus, idem multis aliis modis affici posse reperiemus absque ulla ejus formæ mutatione. Et si sic porro in infinitum pergamus, facile concipiemus totam naturam unum esse Individuum cujus partes hoc est omnia corpora infinitis modis variant absque ulla totius Individui mutatione. Atque hæc, si animus fuisset de corpore ex professo agere, prolixius explicare et demonstrare debuissem. Sed jam dixi me aliud velle nec alia de causa hæc adferre quam quia ex ipsis ea quæ demonstrare constitui, facile possum deducere

[*(Saisset) : Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d’une foule de manières, en conservant toujours sa nature. Or jusqu’à ce moment nous n’avons conçu l’individu que comme formé des corps les plus simples, de ceux qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur et la vitesse. Que si nous venons maintenant à le concevoir comme composé de plusieurs individus de nature diverse, nous trouverons qu’il peut être affecté de plusieurs autres façons en conservant toujours sa nature ; car puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elle pourra (par le Lemme précédent), sans que sa nature en soit altérée, se mouvoir tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et par suite communiquer plus lentement ou plus rapidement ses mouvements aux autres parties. Et maintenant si nous concevons un troisième genre d’individus formé de ceux que nous venons de dire, nous trouverons qu’il peut recevoir une foule d’autres modifications, sans aucune altération de sa nature. Enfin, si nous poursuivons de la sorte à l’infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans que l’individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement. Tout cela devrait être expliqué et démontré plus au long, si j’avais dessein de traiter du corps ex professo ; mais je répète que tel n’est point mon objet, et que je n’ai placé ici ces préliminaires que pour en déduire aisément ce que je me propose maintenant de démontrer.