Qui sont aujourd’hui les admirateurs de Spinoza ?

  • 26 avril 2009

Spinoza est-il spinoziste ?

Pierre-François Moreau : Tout dépend de la définition que vous donnez de cet adjectif ! Le spinozisme, c’est d’abord la doctrine de Spinoza. Définition rigoureuse, mais limitée parce qu’elle ne peut prendre en compte que les domaines sur lesquels Spinoza s’est exprimé. Une deuxième définition possible est celle du professeur américain Jonathan Israel, qui a écrit « Les Lumières radicales » (Editions Amsterdam, 2006). Pour cet auteur, le mouvement des Lumières s’est développé à partir d’Amsterdam, dès les années 1660, pour se répandre ensuite dans toute l’Europe. Spinoza n’y tient qu’une place modeste mais il en est devenu l’emblème : le « spinozisme » désigne alors cette ébullition d’idées radicales - de même que le surréalisme a été incarné par André Breton sans se limiter à lui. Enfin, le spinozisme peut aussi être compris comme l’application des méthodes de Spinoza à des domaines que lui-même ne connaissait pas, par exemple, la psychanalyse (Lacan s’en est réclamé), la sociologie avec Philippe Zarifian ou l’économie avec Frédéric Lordon.

Qui se revendique de Spinoza aujourd’hui ?

Beaucoup de gens. Spinoza fascine pour le discours radical qu’on lui a attribué et qui a suscité de nombreux fantasmes, notamment littéraires. Il est aussi revendiqué par les laïques, par exemple, aujourd’hui en Israël ou dans les pays arabes. Certains théologiens s’en inspirent pour renouveler leur vision de l’écriture. Il attire aussi pour l’attention qu’il porte au corps, ce qui le distingue de beaucoup de penseurs classiques. Mais même chez les spécialistes de la philosophie, les approches sont très différentes. En France, où l’on s’intéresse surtout à l’histoire des systèmes, on l’admire parce que sa philosophie est l’un des systèmes les plus structurés. Aux Etats-Unis, où Descartes est le symbole de la « philosophie continentale », Spinoza apparaît comme l’une des évolutions possibles du cartésianisme. En Italie, peut-être le pays où l’on publie le plus sur lui, on le voit d’abord comme un penseur politique que l’on confronte à des auteurs comme Machiavel, Hobbes ou Marx.

Quel est le point commun des spinozistes ?

On est toujours spinoziste contre quelqu’un. Le spinozisme est la philosophie de la minorité contre la majorité, la pensée alternative contre la pensée dominante. C’est une philosophie qui revendique la controverse en tant que telle. Dans l’« Ethique », Spinoza réfute l’idéologie finaliste, mais seulement après avoir longuement démontré les raisons positives qui rendent la finalité impossible. Le spinozisme n’est pas une pensée de l’aphorisme, de la formule, mais de la démonstration : si je pose que je ne suis pas d’accord, je donne des raisons fortement articulées.

Le spinozisme est-il de gauche ?

Il est difficile de poser la question en ces termes. Oui, Spinoza est un penseur politique engagé. Le « Traité théologico-politique » est un pamphlet, ce n’est pas un texte abstrait. Mais quelle signification politique peut-il avoir aujourd’hui ? Par la démarche, sa pensée se rapproche de celle de Machiavel ou du Marx de la maturité. Il analyse les institutions et les actes pour eux-mêmes sans jeter sur eux un regard moral. Prenez le cas de la corruption politique : jamais il ne la condamnera comme un vice. Il se demandera si la corruption nuit à la solidité du pouvoir et si elle est nocive pour les citoyens. Il en analysera donc les causes nécessaires et cherchera les moyens efficaces de l’empêcher.

Dans la même rubrique

"Multitude, peuple et luttes", par Philippe Zarifian

Multitudes, multitude, peuple, classes sociales ? Le débat sur ce point peut sembler abstrait, mais il a des fortes implications quant à la (...)

" Nouveaux regards sur Spinoza ", par Arnaud Spire

La première biographie complète sur le philosophe hollandais est enfin éditée en français. Un éblouissant " Que sais-je ? " en conforte (...)

"Revenir à Spinoza dans la conjoncture intellectuelle présente", par Frédéric Lordon

L’histoire aura décidément été le grand obstacle des structuralismes. C’est d’ailleurs armés de l’argument du changement que les individualismes (...)

« Une guerre civile dans le mouvement des Lumières » un entretien avec l’historien des idées Jonathan Israel

Professeur d’histoire moderne au prestigieux Institute for Advanced Studies de Princeton (États-Unis), le Britannique Jonathan Israel propose, à (...)

"L’évolution de Toni Negri", par Olivier Doubre

Écrit en prison à la fin des Années de plomb, le premier livre du philosophe italien sur Spinoza initiait le concept de « multitude ». Il offre (...)

"Spinoza, en penseur de la domination", par Pierre-François Moreau

La réédition d’un ouvrage culte d’Antonio Negri invite à relire les figures contrariées de la puissance à l’heure d’une mondialisation sauvage. (...)

"Spinoza et nous", par Robert Misrahi

Une doctrine libertaire et révolutionnaire. En plein XVIIe siècle, face au calvinisme puritain et au judaïsme orthodoxe, le philosophe (...)

"Spinoza peut décevoir son lecteur, mais il réjouit toujours le penseur". Entretien avec Jean-Luc Marion.

Quelle est la place de Spinoza et de son oeuvre dans votre propre itinéraire philosophique ? Tout philosophe a deux philosophies, la sienne et (...)

La pensée du Délire

Parce que la présentation de la pensée de Spinoza devant des classes de terminale est subordonnée aux objectifs de la préparation au bac et (...)

"Actualité de Spinoza", par Saverio Ansaldi

I.
" Dans l’histoire de la pratique collective, il y a des moments où l’être dépasse le devenir. L’actualité de Spinoza consiste avant tout en (...)

"L’événement Spinoza", par Jérôme Ceccaldi

1.
Actualité de Spinoza ? Si le champ philosophique se partage, comme on le dit, entre la phénoménologie et la philosophie analytique, en (...)

"Trouver le sens humain de la vie dans l’organisation de l’éphémère", par Yirmiyahu Yovel

Né le 20 octobre 1935 à Haifa, Yirmiyahu Yovel est l’une des principales figures de la recherche philosophique en Israël. Après une carrière (...)

"Modernité de Spinoza", par Warren Montag

Quelles sont les formes de l’actualité de Spinoza, les effets théoriques dont il est la cause immanente ? Le premier site dans l’immanence de (...)