"Spinoza-Derrida", par Charles Ramond

Par Charles Ramond, professeur à l’université de Bordeaux 3, directeur du Centre de Recherches sur les Philosophies de la Nature (CREPHINAT). Conférence prononcée le 30 avril 2003 dans le cadre de la journée « itinéraires » du DEA de Philosophie, en association avec Bordeaux 3 et Toulouse 2.

Je tiens tout d’abord à adresser mes remerciements les plus vifs, d’abord à mon cher ami Jean-Christophe Goddard, pour m’avoir invité à cette journée au thème si intéressant, et à l’Université de Poitiers qui nous accueille aujourd’hui.
Il s’agira donc pour moi, comme je suppose qu’il en sera aussi pour les autres participants, de jeter un regard rétrospectif, analytique et critique sur un parcours personnel, en essayant de lui trouver, ou de lui donner du sens [1]. Or demander cela, c’est considérer implicitement celui qui s’engage dans une telle analyse comme capable lui-même d’un geste, d’une préoccupation, d’une démarche, d’une écriture philosophiques : et en ce sens, non seulement cela honore celui qui est invité à en parler, mais cela me semble relever tout simplement d’une conception exacte de l’histoire de la philosophie. À l’arrière-fond de cette communication sera en effet constamment présent (il en fera même, à vrai dire, l’essentiel) un questionnement sur la nature de l’histoire de la philosophie. Pour le dire d’un mot, je ne crois en aucune façon (tous mes travaux, en un sens, ne visent qu’à démontrer cette unique thèse, et à en tirer tous les effets et toutes les conséquences), je ne crois en aucune façon, donc, à l’existence d’une coupure ontologique entre « philosophes » et « historiens de la philosophie ». Non pas évidemment que je nie que des accomplissements variés en qualité existent dans ces domaines comme dans d’autres, mais parce que je suis convaincu, d’un point de vue logique, qu’il est en droit impossible de faire de l’histoire de la philosophie si on ne développe pas soi-même des thèses philosophiques ; et que, par conséquent, celui qui ne serait qu’historien de la philosophie ne serait pas à mes yeux « moins bon » philosophe que le prétendu « philosophe », mais il ne serait même pas historien de la philosophie du tout.
Il ne s’agira donc pas pour moi, aujourd’hui, de tenter d’établir, ou de mettre en évidence, quelque lien que ce soit qui existerait « objectivement » entre Spinoza et Derrida. Tout au contraire, je pense que les organisateurs de la journée, ainsi que le public, attendent plutôt ici une intervention « subjective », c’est-à-dire l’exposé d’une décision ou d’une cohérence interprétatives qui envelopperaient le souci des pensées de ces deux philosophes -et c’est en effet à quoi je vais m’essayer, persuadé en outre (ce sera une deuxième thèse philosophique propre) que, en histoire de la philosophie comme en philosophie « tout court », l’objectivité ne peut être que le résultat de telles interventions subjectives, sans jamais leur préexister.
On ne peut pas, à propos de Spinoza et de Derrida, mettre en avant une controverse célèbre (comme les controverses légendaires, à tous les sens du terme, entre Malebranche et Arnauld, Voltaire et Rousseau, Sartre et Camus, etc), ni même une discussion approfondie des thèses de l’un par l’autre (comme ce fut le cas de Kant pour Hume, ou de Leibniz pour Spinoza). Je ne sais pas si quelqu’un a lu tout Derrida -ce n’est sans doute pas mon cas, bien que j’en aie lu beaucoup. Il peut donc y avoir quelque texte, quelque lettre, quelque interview, quelque extrait de film, dans lequel il engagerait une discussion des thèses de Spinoza, et qui m’aurait échappé. Mais je crois pouvoir dire sans beaucoup me tromper que Spinoza ne fait pas partie des interlocuteurs privilégiés de Derrida, Derrida se distinguant en cela de bien des penseurs français contemporains, au premier rang desquels se trouverait évidemment Deleuze, mais parmi lesquels on compterait aussi Balibar, Badiou, Ricoeur, Levinas, et même Girard, certainement marqué par la théorie spinoziste de l’imitation des affections -mais aussi Gueroult et Alquié, grands historiens de la philosophie de la génération précédente, mais aussi très bons philosophes (sans doute parce que très bons philosophes aussi), qui, partis l’un et l’autre de Descartes, ont achevé leur vie philosophique avec de magistrales études sur Spinoza -sans oublier également des penseurs comme Desanti, Tosel, etc, et la grande postérité spinoziste dont témoigne par exemple le grand colloque organisé par Olivier Bloch il y a quelques années sur Spinoza au XXème siècle, et publié aux Presses Universitaires de France [2].
Or si Derrida n’appartient pas à cet ensemble de philosophes contemporains en dialogue approfondi avec le spinozisme, c’est sans doute parce qu’à première vue et intuitivement, les deux philosophes appartiennent à des univers différant toto caelo, comme aurait dit Spinoza. D’un côté, la rationalité poussée à l’absolu, la démonstrativité géométrique, une critique féroce de la superstition, un certain mépris du langage et de ses équivoques ; de l’autre, la mise en péril de la rationalité par la prise en considération de l’écriture et de ses jeux, le déni de fait de la réussite, ou même de la possibilité de la réussite de la conceptualité, un jeu constant, savant, virtuose sur les équivocités du langage ordinaire, une recherche épisodique de l’obscurité, des jeux de mise en page, des coupures de phrases au compte précis, bref, tout ce qu’un spinoziste ne manquerait pas de décrire comme une attitude quelque peu superstitieuse, attitude en effet, je pense, bien présente dans un grand nombre d’œuvres de Derrida : que l’on pense par exemple aux signatures discrètes dont il envahit Glas, puis la plupart de ses textes, au moyen de l’expression cryptée « toujours déjà » (« toujours DErrida JAcques »), aux coupures de 52 caractères exactement qui trouent le texte de La Carte Postale, aux coïncidences de dates qui parsèment Circonfession, etc : autant de traits dans lesquels un Spinoza n’aurait peut-être vu autre chose que des « délires kabbalistiques ». Plus généralement, il semble à première vue presque inconcevable de se sentir à l’aise à la fois chez Spinoza et chez Derrida, tant la systématicité est recherchée par le premier comme le régime même de la philosophie, tandis que le second ne songe qu’à déconstruire et à défaire la prétention même à quelque systématicité que ce soit.

À partir d’une telle perception, je pourrais proposer une première série d’hypothèses, que je pourrais qualifier d’hypothèses « faibles », sur mon propre parcours (qui, soit dit en passant, ne concerne pas seulement Spinoza et Derrida, mais s’étend plus largement aussi bien dans la philosophie moderne que dans la philosophie contemporaine, même si ces deux philosophes en sont parmi les pôles les plus marquants [3]). On pourrait supposer, par exemple, qu’il n’y a ici rien à expliquer ni rien à comprendre (ce qui, d’une certaine manière, mettrait terme, sinon à la journée, du moins à mon exposé). Ce ne serait d’ailleurs ni totalement absurde, ni déshonorant. La plasticité, la capacité à s’intéresser à des penseurs divers, fait partie intégrante des qualités que l’on est en droit d’attendre d’un Professeur de philosophie. Et, s’agissant de toute évidence de grands philosophes, non seulement il n’y aurait aucune honte, mais il serait même tout à fait normal d’aimer à les lire et à les travailler tous les deux, parmi d’autres, sans qu’il y ait là de sens particulier. C’est d’ailleurs, sauf erreur, ce que nous faisons tous, quotidiennement, et c’est ce qu’ont toujours fait les philosophes de la tradition : il s’agit là d’une preuve de curiosité, de tolérance, etc, autant de qualités, chacun l’accordera je pense.
D’un autre côté, il me semble que si je me contentais de vanter devant vous mes qualités de curiosité, de tolérance et d’ouverture d’esprit, je pourrais craindre que, tout en m’accordant votre sympathie, vous ne trouviez mon brouet théorique un peu clair... Je profite d’ailleurs de cette remarque pour inviter mon public à réfléchir sur la dimension contradictoire qui est celle de son attente en ce moment : de toute évidence, vous ne voulez ni un cours d’histoire de la philosophie dans lequel on produirait un parallèle entre les deux doctrines (à la manière des parallèles entre Racine et Corneille), ni non plus un exposé (de toute manière impossible en l’occurrence) dans lequel on mettrait en évidence des « influences » entre deux auteurs (à supposer que cette démarche ait un sens en histoire de la philosophie, ce dont je doute). Donc vous ne voulez pas, vous n’attendez pas, un exposé qui serait « objectif » ; vous attendez un exposé subjectif : mais dès qu’on vous le propose comme tel, vous le refusez. Il est donc clair que l’attente ici est une sorte de mixte entre l’objectif et le subjectif, mixte sans doute encore impensable à ce moment de l’exposé, mais mixte qui est précisément ce que je tente d’atteindre sous le nom d’histoire de la philosophie.
Pour en revenir aux qualités subjectives de curiosité, de tolérance, etc, évoquées il y a un instant, je reconnaîtrais d’ailleurs volontiers qu’une telle explication serait au fond insuffisante pour expliquer pourquoi on s’intéresse à deux auteurs à première vue si dissemblables. Je ne suis en effet pas convaincu, au fond, que notre plasticité théorique et notre tolérance philosophique soient sans limites. Ainsi par exemple, si je dois constater, et tenter d’expliquer devant vous, qu’il y a un certain sens et un certain intérêt à lire Spinoza et Derrida (ce dont je suis persuadé, même si je ne sais pas encore l’expliquer ni me l’expliquer), en revanche je n’arrive pas à comprendre (et, si j’osais être franc, à admettre) que Deleuze ait pu s’intéresser à la fois à Leibniz et à Spinoza. Car, pour ce qui me concerne, il y a là un véritable problème de compatibilité intérieure : j’ai vraiment le sentiment (mais ce n’est pas seulement un sentiment bien sûr, je vais y revenir) d’une opposition telle, à tout point de vue, entre ces deux auteurs, malgré la proximité dans le temps, la proximité de certains cadres théoriques et même de certains problèmes, qu’il me semble véritablement impossible (du moins, c’est l’expérience que j’en ai) d’avoir du goût ou un intérêt philosophique à la fois pour l’un et pour l’autre [4].
Disons donc d’un mot en quoi je serais « spinoziste » (et même si sans doute une telle dénomination n’a pas grand sens théoriquement, même si peut-être elle en a pratiquement et socialement), et en quoi cela m’empêcherait d’être « leibnizien ». Les analyses que j’ai été conduit à mener, dans mon propre parcours, sur les notions de « pouvoir », de « puissance », de « possibilité », d’abord il y a quelques années à propos du XVIIème siècle (déjà à l’initiative de J.-C. Goddard), puis récemment complétées par l’analyse de la question contemporaine des « dispositions » et de la « dispositionnalité » [5] m’ont conduit dans tous les cas, par ce qui m’a semblé être simplement la nécessité propre du raisonnement et la prise en compte soigneuse des doctrines étudiées, à une thèse strictement réductionniste (ce sera donc la troisième thèse philosophique que j’aurai énoncé devant vous aujourd’hui) : c’est-à-dire à la thèse selon laquelle, dans tous les cas, il faut exclure la notion de « possibilité », sous toutes ses formes, de l’ontologie, et s’en tenir à une ontologie « monocatégoriale », c’est-à-dire à une ontologie dans laquelle l’être (et son contraire le non-être) sont les deux seules catégories acceptables, en rejetant tout ce qu’on range habituellement sous le nom de « modalités » (possible, impossible, nécessaire, contingent, en puissance, potentiel, virtuel, etc) dans le domaine de la connaissance, de la subjectivité, ou de la psychologie. Il est évident que ces thèses qui me sont propres se rattachent à la critique spinoziste de la possibilité. On ne peut pas dire, pourtant, qu’il s’agisse d’une « influence », ni d’un « emprunt ». Tout au contraire, j’ai dû parfois faire jouer certains textes de Spinoza les uns contre les autres, et relever des tensions dans son système. Mais finalement, j’en suis arrivé à la conclusion que Spinoza avait perçu, par exemple, les pièges sans fond de la doctrine cartésienne des « degrés de réalité » (c’est ce que j’ai développé dans ma thèse sur Qualité et Quantité dans la Philosophie de Spinoza [6], où je montrais que les « degrés de réalité » forment le paradigme de la tentative de quantifier la qualité, source matricielle des diverses apories rencontrées par les philosophes de l’âge classique), et que la plus grande partie de son effort philosophique avait été (avec succès ou non là n’est pas aujourd’hui la question) d’échapper à ces pièges en désontologisant autant qu’il était en lui la notion de « possibilité » sous toutes ses formes, pour tendre à l’ontologie monocatégoriale que j’adopte pour ma part et que je lui ai peut-être prêtée ou imputée avec autant de violence que de générosité. Mais toutes ces analyses, on le voit, sont absolument leibnizo-incompatibles, dès lors qu’on prend conscience que, à l’inverse, l’effort philosophique constant de Leibniz fut d’ontologiser la possibilité.
Je ne crois donc pas, du moins tant qu’on essaie de développer en philosophie des thèses propres, qu’on puisse donner accueil en soi à tous les couples de philosophes. Je note par exemple que les cartésiens actuels, je pense d’abord à Jean-Luc Marion bien sûr et justement dans la mesure où il développe une pensée personnelle, sont rarement à l’aise en compagnie de Spinoza. Spinoza leur apparaît un philosophe étrange, s’étant trompé sur presque tout, une sorte de cas, intéressant d’un point de vue clinique plus que d’un point de vue philosophique (pour ne rien dire du regard porté ensuite sur les spinozistes...) [7]. Il y aurait d’ailleurs là quelque écho, quelque continuité, avec l’attitude de Alquié, qui en somme, depuis le Désir d’Éternité [8] jusqu’au Rationalisme de Spinoza [9], n’avait jamais cessé d’opposer à la voie sans issue, quoique fascinante, de Spinoza, la philosophie praticable de Descartes.
On voit donc que le spinozisme et le heideggerianisme ne font pas non plus nécessairement bon ménage (du moins ce n’est pas le cas chez les cartésiens). Évidemment, je dis cela en pensant à mon collègue et ami Jean-Marie Vaysse, que j’ai tout particulièrement plaisir à côtoyer aujourd’hui, dans la mesure où il propose au contraire, comme vous venez de l’entendre, une lecture, très remarquable et très stimulante, qui consiste à rétablir, via Heidegger, la liaison entre Spinoza et Derrida -ou plus exactement, et cette entorse faite à la chronologie me semble ici très significative et du plus haut intérêt, rétablir, via Derrida, la liaison entre Spinoza et Heidegger. « La singularité de Spinoza », fait en effet remarquer Vaysse, « tiendrait à ce qu’il est le premier à entreprendre une destruction de ce que l’on appelle aujourd’hui, après Heidegger, voire après Kant, la métaphysique ». Et Vaysse relève alors un passage du Droit à la Philosophie, dans lequel Derrida « fait observer que le spinozisme échappe au discours de la métaphysique pour trois raisons essentielles : 1) la substance n’est pas comprise comme sujet, 2) le système n’est pas régi par le principe de raison ordonné à la finalité, 3) l’idée n’est pas réduite à la représentation » [10]. On pourra alors, inversement, « définir le discours de la métaphysique en disant qu’il requiert une transcendance, une théorie de la représentation et une problématique du fondement ». À cela Spinoza opposerait donc « une ontologie de l’immanence excluant toute théologie, une doctrine de l’expressivité formelle de l’idée, dépassant le cadre de la représentation, et un déterminisme atéléologique impliquant le rejet du principe de raison ». Comme vous venez de l’entendre, la thèse générale de Vaysse est donc que le silence de Heidegger sur Spinoza pourrait s’expliquer par le fait que la pensée de Spinoza « hanterait » (verbe derridien s’il en est) sa propre pensée.
Il ne peut être question pour moi de discuter ici en détail la position de mon collègue Vaysse : il sait que sur le fond, nous sommes en désaccord assez profond sur la thèse d’une « finitude » essentielle au spinozisme. Je perçois chez Spinoza, au contraire, la trace bien visible de l’expansion prométhéenne caractéristique de la modernité naissante, et, dirais-je même, la négation de la mortalité essentielle de l’homme, ce qui introduirait, me semble-t-il, entre autres points sur lesquels je reviendrai peut-être aujourd’hui, des différences vraiment irréductibles entre les deux systèmes, malgré les remarquables compatibilités avec Heidegger soulignées par Vaysse dans la situation de Spinoza par rapport à l’histoire de la métaphysique. Et d’ailleurs, quand bien même Spinoza « hanterait » Heidegger, il resterait à prouver qu’il hante Derrida pour cette raison même, en quelque sorte transitivement, ce qui ne serait peut-être pas facile à établir : car je tiens que la hantise heideggerienne est très loin d’être la seule dans le derridisme (j’y décèlerais bien d’autres revenants, et notamment de la famille des linguistes et des théoriciens du langage ordinaire).
Il ne me semble donc pas que la communauté Spinoza/Derrida, à supposer que nous puissions expliciter pourquoi il y a là communauté, puisse être décrite ou conçue comme une communauté « positive » ou « objective », quelle que soit la valeur et l’importance de l’intermédiaire (ici Heidegger) que l’on place entre eux pour les faire se rejoindre.
J’en dirais donc autant quant à la possibilité de rapprocher ces deux auteurs par leur judéité, ou plutôt par l’étrange rapport qu’ils entretiennent avec leur judéité [11]. En effet, on a pu voir en Spinoza une présence du marranisme, c’est-à-dire d’un judaïsme secret ; et de son côté il est arrivé à Derrida, dans un film intitulé D’ailleurs Derrida, et dans lequel on le voit revenir sur les lieux de son enfance algérienne et juive, de se qualifier lui-même, comme en passant, de « marrane de marrane », déclaration en réalité extrêmement remarquable, qui ferait de lui un « Spinoza au carré », révélant ainsi une communauté ou du moins un lien profond entre les deux penseurs. Il faut dire immédiatement que la déclaration de Derrida, si intéressante et provocante soit-elle, est particulièrement difficile à comprendre : le marrane est celui qui dissimule (ou qu’on accuse de dissimuler) le fait qu’il est resté juif sous un comportement extérieur non-juif. Mais alors, un « marrane de marrane », ce serait quelqu’un qui dissimulerait le fait qu’il est marrane : mais comment faire ? Que dissimuler, et à qui ? Comment dissimuler une dissimulation, que par définition personne ne soupçonne ? Par définition en effet, le marrane dissimule aux non-juifs le fait qu’il est marrane. Donc le « marrane de marrane » que serait Derrida dissimulerait le fait qu’il est marrane aux marranes eux-mêmes  ? Mais ce serait là l’exemple wittgensteinien type d’une « religion privée », c’est-à-dire au fond de quelque chose d’irréalisable, et même d’inconcevable.
Quel que soit l’intérêt de la déclaration de Derrida, si bien accordée à sa philosophie générale de la « marge », et bien qu’on ne puisse contester qu’il s’agit là, de sa part, d’une revendication d’appartenance à la famille même de Spinoza, et donc d’un hommage très notable, malgré toutes ces raisons, donc, je crois qu’en réalité un tel type de rapprochement doit rester superficiel et sans réelle portée. Qu’il y ait chez Derrida une obsession privée et secrète du judaïsme et de sa judéité, c’est clair : c’est tellement clair que ce secret est maintenant totalement public, puisque Derrida dit lui-même très explicitement qu’il ne parle jamais d’autre chose que de sa circoncision, dans chacun des innombrables textes qu’il a écrits, et qui sont traduits dans toutes les langues : « ‘Circoncision’, je n’ai jamais parlé que de ça, considérez le discours sur la limite, les marges, marques, marches, etc, la clôture, l’anneau (alliance et don), le sacrifice, l’écriture du corps, le pharmakos exclu ou retranché, la coupure/couture de Glas, le coup et le recoudre, d’où l’hypothèse selon laquelle c’est de ça, la circoncision, que, sans le savoir, en n’en parlant jamais ou en en parlant au passage, comme d’un exemple, je parlais ou me laissais parler toujours, à moins que, autre hypothèse, la circoncision elle-même ne soit qu’un exemple de ça dont je parlais » [12].
Or, sur ce point, Spinoza est tout à fait à l’opposé de cette « religion privée » à la fois secrète et universellement divulguée, qui caractérise l’écriture derridienne comme écriture de la circoncision (« écrire autour », dit souvent Derrida). Que l’on se réfère par exemple à la fin du chapitre III du Traité Théologico-Politique, et on verra qu’aux yeux de Spinoza la circoncision n’a de sens que politique et strictement extérieur. La meilleure preuve en est qu’il compare immédiatement la circoncision des juifs à la « queue » que portent les chinois en matière de coiffure. La circoncision, aux yeux de Spinoza, ne se distingue pas des autres signes distinctifs : c’est un moyen sans doute très efficace pour faire durer une nation, mais il en existe d’autres, tout aussi valables. Cette pure extériorité finalisée de la circoncision est finalement rapportée par Spinoza à une élection toute matérielle et sociale, car il n’est pas décidé à en reconnaître d’autre à la « nation juive ». Je ne peux évidemment pas traiter en quelques mots de la question compliquée des rapports de Spinoza au judaïsme : sur ce point, l’excellent livre de Geneviève Brykman [13], a été suivi par bien d’autres [14], et je ne peux donc m’en tenir ici qu’au plan des conclusions, en négligeant les démonstrations. Il me semble donc, en un mot, qu’on peut discuter l’idée d’un rapport essentiel entre la philosophie de Spinoza et le judaïsme ; mais qu’on doit, quoi qu’il en soit, se méfier de l’hypothèse irréfutable selon laquelle ce judaïsme serait « secret » : car alors, absurdement, moins on l’y trouve, et plus on l’y trouve. Et le diagnostic de Levinas me semble au fond assez juste : Spinoza est sans doute irrécupérable pour le judaïsme. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il le soit tellement plus pour le christianisme, malgré (ou à cause de ?) la place immense qu’il donne au Christ [15]. Spinoza, en effet, ne se trouvera sans doute jamais aux côtés de penseurs pour lesquels « la totalité » est encore trop peu, et auxquels il faut en plus le tremblement de « l’infini » ou de la « charité ». Je ne crois donc pas, finalement, qu’on puisse relier Derrida à Spinoza, « objectivement », en posant entre eux Moïse ou Abraham plutôt que Heidegger.

Resterait donc à voir (c’est le moyen le plus classique et le plus sûr pour produire une communauté, lorsque l’accord positif n’a pas pu être établi) si Spinoza et Derrida n’auraient pas un ennemi commun. Or cet ennemi existe de toute évidence, et c’est Descartes.
Je dois préciser immédiatement les raisons pour lesquelles je reste persuadé qu’on peut rester, au moins sur un plan déterminé, à la fois « cartésien » et « spinoziste ». Que les deux auteurs partagent en effet l’ivresse prométhéenne du début des temps modernes, c’est ce qui saute aux yeux pourvu qu’on accepte de lire certains de leurs textes les plus fameux. Dans la 6ème partie du Discours de la Méthode, Descartes ne se contente pas d’aspirer à devenir « comme maître et possesseur de la nature », mais il pense que la médecine parviendra à soulager les hommes « des infirmités de la vieillesse », autrement dit, qu’elle nous fera accéder à l’immortalité. Le même ton se fait entendre dans le début du Traité de la Réforme de l’Entendement, où Spinoza parle de son ambition d’acquérir une « nature plus forte » et de la faire partager à tous les hommes ; ou encore, dans l’Éthique, où il est déclaré que la mort nous est inessentielle (IV 68), que l’accomplissement du corps accompagne l’accomplissement intellectuel (V 39), et que « le sage » « par une certaine nécessité éternelle », « ne cesse jamais d’être » (V 42 scolie), etc. Tout ceci mériterait évidemment d’être nuancé, d’être rapporté dans les deux cas à des contextes et à des rapports à la nature extrêmement différents. Il n’en reste pas moins qu’on sent chez ces deux auteurs la présence d’une espèce d’énergie très particulière, et qu’on y trouve la réactivation explicite d’un des plus anciens et plus puissants fantasmes de l’humanité, l’aspiration à l’immortalité. Donc, en cela (et sans doute aussi sur quelques autres points), on peut me semble-t-il être à la fois « cartésien » et « spinoziste », ce qui serait encore une façon de lire Spinoza, je le dis au passage, au plus loin du thème de la finitude...

Mais si on en reste au plan des concepts plutôt qu’au plan des prophéties, ou au plan de la manière de vivre et de persévérer dans son être, alors l’anticartésianisme est bien un point d’alliance objective entre la philosophie de Spinoza et celle de Derrida.
Je ne rappellerai pas ici (car mon propos n’est pas de faire un cours) l’étendue de la critique que fait Spinoza de la philosophie de Descartes : chacun sait qu’elle est totale, massive, systématique, prenant tout particulièrement pour cible la théorie de la volonté et de la liberté qui sont le cœur même du cartésianisme. Mais l’idée que nos conduites ou nos pensées pourraient être, en quoi que ce soit, guidées par une « liberté » ou par une « volonté », semble tout aussi absurde et ridicule à Derrida qu’à Spinoza. La lecture de La Carte Postale [16] ne permet aucun doute à ce sujet. Tout ce qui relèverait d’un libre arbitre, d’une « détermination », de « résolutions », de « décisions » que l’on pourrait prendre, est l’objet, non pas de réfutations, mais d’agressions assez vives [17], en accord avec le thème général de l’ouvrage, qui entrecroise une méditation sur la psychanalyse (par définition méfiante, pour le moins, devant toute revendication d’une « liberté de la volonté ») et les thèmes de la « chance », de la « fortune », de « l’arrivée », c’est-à-dire de la « destination », et donc du « destin ». Les sorts, les destins, sont déjà écrits, ou dictés, et, comme des cartes postales, tout le monde peut les lire. Il n’y a pas de destinataires individuels [18]. Par conséquent, l’idée qu’il puisse y avoir un « je », capable de retour sur soi, et maître de soi en quelque façon que ce soit, est tout simplement à l’exact opposé des conceptions de Derrida, qui ne voit le « je » que clivé, en différance d’avec soi, toujours errant, toujours pris dans un flux de rencontres, de textes, de voix, dans lesquels tantôt il s’immerge et tantôt il surnage, avec lesquels tantôt il convient et tantôt il disconvient... On aura reconnu ici cette espèce de musique aux vitesses variables qui, selon Deleuze, est la sans doute la meilleure description de la « chose singulière » spinoziste elle-même. D’ailleurs, les points communs sont visibles entre « l’appareil psychique » de la Traumdeutung [19] et « l’automate spirituel » du Tractatus de Intellectus Emendatione, de même qu’entre le déterminisme spinoziste dans l’enchaînement des pensées (car il y a de la nécessité aussi dans l’attribut pensée) et le déterminisme psychique en forme de destin qui occupe une place si importante dans le freudisme.

Mais, me dira-t-on sans doute, vous n’allez tout de même pas faire de Spinoza un anti-rationaliste ! Nous sommes prêts à montrer bien de la patience, mais pas, sans doute, à vous suivre jusque là ! Commet oser rapprocher le philosophe par excellence du « rationalisme absolu » (pour reprendre la fameuse expression de Martial Gueroult), et le critique constant de l’arraisonnement sous toutes ses formes ?
Et pourtant... je soutiendrais volontiers que le rapport du spinozisme à la rationalité est plus mystérieux et plus secret qu’il ne semble. Il y a déjà ces notations si importantes : le fait que dans la jeunesse de Spinoza le monde, la réalité dans son ensemble, lui soient apparus si « vains » et si « absurdes » [20] qu’il a tout simplement failli en mourir, comme le racontent assez explicitement les premières pages du Traité de la Réforme de l’Entendement. Il y a aussi la fameuse déclaration selon laquelle « nul ne sait ce que peut un corps » [21], tellement bien relevée par Deleuze, mais dont le double résultat paradoxal est que, si d’un côté elle nous empêche de recourir aux idées abstraites et générales, nous délivrant donc d’un coup de la croyance aux miracles et des préjugés liés à l’habitude (par où, m’a-t-il souvent semblé, presque toute la critique humienne de la causalité était comme enveloppée dans la sentence spinoziste), d’un autre côté cependant elle ouvre la voie à un monde cauchemardesque, dans lequel toutes les réalisations physiques, toutes les alliances d’espèces seraient possibles, un monde monstrueux peuplé de « chevaux ailés », d’« arbres qui parlent », de « tables qui mangent de l’herbe », d’hommes « vivant commodément pendus au gibet », etc, sans que jamais la raison puisse faire légitimement obstacle à ce chaos en train de proliférer non seulement devant elle, mais par elle. Et cette perception selon moi très profonde, chez Spinoza, de la nature chaotique et informe du fond de la réalité (puisqu’il est allé jusqu’à déclarer « imaginaire » l’ordre même de la nature [22]) est assez proche de l’ontologie différantielle de Derrida, qui n’admet de structuration ou de rationalisation que secondaires et pour l’essentiel imaginaires, la réalité étant pour lui essentiellement paradoxale et inaccessible de fait à une conceptualisation « claire et distincte », comme le montre toute sa pratique de « déconstruction » des textes de la tradition et d’écriture de l’indécidable. Chez Spinoza, d’ailleurs, la rationalité globale du monde s’accompagne presque toujours de son irrationalité locale. Le monde peut être rationnel sans que je le sois, ni même que je le perçoive comme tel. C’est même une des leçons les plus brutales et les plus énigmatiques du spinozisme [23] que cette constante et absurde défaite du rationnel dans les choses singulières, au moment même où la nature dans son ensemble se développe selon la nécessité et la rationalité.
J’en étais ainsi parvenu à voir, au cœur du spinozisme, une douloureuse tension entre deux exigences contradictoires. La raison devait-elle être conçue comme un horizon, un but à atteindre à l’issue d’un difficile parcours, ou bien était-elle là depuis toujours, toute entière présente dans la moindre des choses singulières ? Le problème général de l’immanentisme se posait donc, au fond assez naturellement, comme un conflit entre l’extériorité et l’intériorité de la raison. Les meilleurs des lecteurs de Spinoza en venaient ou en revenaient d’ailleurs toujours à ce point [24]. Tout était donc prêt pour qu’une lumière jaillisse au contact des thèses de Derrida. La philosophie de Derrida peut en effet être décrite comme la mise en évidence de l’incapacité dans laquelle se trouve structurellement la métaphysique à accomplir les tâches qu’elle s’assigne, au premier rang desquelles, justement, la production d’une distinction claire entre « extérieur » et « intérieur ». Tous les « nouveaux objets » introduits pas Derrida en philosophie ont pour fonction, non pas de produire cet échec, mais de le manifester, ou de le révéler : l’écriture, comme « supplément », est à la fois extérieure et intérieure à la parole, le « pharmakon » est intérieur comme « remède » et extérieur comme « poison », le « parasite » n’est ni tout à fait intérieur ni tout à fait extérieur à son hôte, « l’hymen » sépare et rapproche, etc. Il s’agit dans tous les cas de mettre en évidence le caractère vain ou impensable de cette distinction pourtant absolument structurante et essentielle à l’entreprise philosophique. Définir, en effet, ce n’est rien d’autre qu’établir une frontière entre ce qui est intérieur à une catégorie, et ce qui lui est extérieur, et par ailleurs toute philosophie passe nécessairement par le difficile problème de la détermination de ce qui lui est extérieur, étant entendu que la tâche par excellence de la philosophie est de faire rentrer à l’intérieur d’elle-même, c’est-à-dire de la rationalité, ce qui était conçu ou perçu comme extérieur (le monde, l’affectivité, etc). Philosopher, ce n’est pas autre chose que ce double geste de séparation puis d’intégration de l’intérieur et de l’extérieur.
D’un seul coup, les hésitations spinozistes sur le statut de l’extériorité [25] devenaient lisibles comme exemple privilégié des difficultés sur lesquelles un rationalisme classique ne pouvait manquer de buter. Mais je comprenais immédiatement que toute recherche d’une « solution » à un tel problème ne pouvait qu’être illusoire. Il ne pouvait s’agir d’essayer de concilier, que ce soit de façon structurelle ou de façon dialectique, les énoncés opposés de Spinoza sur l’extériorité. Autant aurait valu réconcilier le « remède » et le « poison ». C’est donc à partir de là que j’ai commencé à pouvoir me détacher de certaines interprétations du spinozisme, et notamment de celle de Matheron qui dominait largement le champ des études sur la politique spinoziste, et qui était entièrement ordonnée comme démonstration du passage de l’extériorité à l’intériorité de la loi chez Spinoza. Or, une fois abandonnée l’idée de réconcilier, ou de dialectiser, l’intérieur et l’extérieur dans la philosophie de Spinoza, la voie était ouverte pour un abandon pur et simple de cette dualité. Et de fait, un réexamen attentif des textes montrait alors qu’il était possible de proposer une lecture systématiquement « externaliste » de la philosophie de Spinoza, et ce dans toutes les parties du système (ontologie, physique, connaissance, théorie des affects, et politique) -ce que je me suis alors employé à faire au cours de ces dernières années [26]

Ce qu’il y a de « derridien » dans la lecture de Spinoza que je propose actuellement, ce ne sont donc pas tant des thèmes communs aux deux auteurs (encore que, nous l’avons vu, les points de rapprochement entre eux seraient peut-être plus nombreux qu’on ne le croit généralement), mais plutôt cette idée que l’histoire de la philosophie consiste à dicter aux philosophes du passé le message qu’ils nous adressent. C’est bien sûr le thème si amusant de la Carte Postale : Platon dicte, Socrate écrit. Ce sont toujours les héritiers qui écrivent le testament, ce sont toujours les philosophes du présent qui écrivent la philosophie du passé : comme un message jeté à la mer dans une bouteille, ou comme une simple carte postale, une philosophie n’aura jamais eu de destinataire (et donc de sens) singulier (d’ailleurs il n’y a pas de sens singulier). C’est pour cela que je n’ai jamais cru, comme je vous le déclarais d’entrée, à une quelconque « rupture » entre « philosophes » et « commentateurs ». Et c’est ce qui (m’)explique (peut-être) comment j’ai pu faire une lecture d’abord bergsonienne (le thème de la rétro-activité du vrai étant d’ailleurs, on le sait, un thème typiquement bergsonien), puis derridienne des difficultés du spinozisme, qui me conduit aujourd’hui à lire/écrire Spinoza comme le philosophe de l’extériorité éthique plutôt que de l’intériorité morale, et à voir en lui le théoricien accompli de la démocratie moderne et contemporaine sous la pure loi extérieure du « compte » ou du « nombre ». Ce qu’il me semble finalement devoir à Derrida (ou à Bergson) dans ma démarche à l’égard de Spinoza, c’est de m’être toujours à travers eux senti encouragé à insister sur les difficultés rencontrées par un auteur, pour faire avancer la vérité. Je laisse à son tour chacun juge de l’aspect exemplaire ou non de cet itinéraire.

Ce texte est publié ici avec l’aimable autorisation de Charles Ramond et de Jean-Cristophe Goddard, organisateur de ces journées, que nous remercions de leur confiance.

AVERTISSEMENT :
Le texte que vous venez de télécharger doit être cité comme suit : Charles Ramond, « Spinoza-Derrida », Documents de travail du département de philosophie de l’université de Poitiers, conférence de la journée d’études « Itinéraires » organisée dans le cadre du DEA de Poitiers le 30 avril 2003 en collaboration avec les universités de Bordeaux 3 et de Toulouse 2, et disponible sur le site : http://www.sha.univ-poitiers.fr/philosophie/ . Aucune autre publication de ce texte ne peut avoir lieu sans l’autorisation de l’auteur.
SOURCE : http://spip.univ-poitiers.fr/philos...

[1Sur Spinoza, principalement :

 Qualité et Quantité dans la philosophie de Spinoza. Paris : PUF (collection « Philosophie d’aujourd’hui »), 1995. 332 p.

 Spinoza et la Pensée Moderne - Constitutions de l’Objectivité. Préface de Pierre-François Moreau. Paris/Montréal : L’Harmattan (collection « La philosophie en commun »), 1998. 384 p.

 Le Vocabulaire de Spinoza. Paris : Ellipses (collection « Le vocabulaire de »), 1999. 62 p. Repris in Le Vocabulaire des Philosophes (Ouvrage coordonné par Jean-Pierre Zarader). Paris : Ellipses, 2002 (4 vol.), vol. 2 (Philosophie Classique, XVII-XVIIIe siècle), pp. 167-223.

 SPINOZA, Œuvres V (Édition publiée sous la direction de Pierre-François Moreau) : Tractatus Politicus / Traité Politique. Texte établi par Omero Proietti ; traduction du latin, introduction, notes, glossaires, index et bibliographie par Charles Ramond ; avec une notice de Pierre-François MOREAU, et des notes d’Alexandre Matheron. Paris : Presses Universitaires de France (Collection « Épiméthée »), 2005, 391 p.

 Lectures de Spinoza, édité par Charles Ramond et Pierre-François Moreau. Paris : Ellipses, 2006, 304 p.

Sur Derrida :

 Le Vocabulaire de Derrida. Paris : Ellipses (collection « le vocabulaire de »), 2001. 71 p. Repris in Le Vocabulaire des Philosophes (Ouvrage coordonné par Jean-Pierre Zarader). Paris : Ellipses, 2002 (4 vol.), vol. 4 (Philosophie Contemporaine, XXe siècle), pp. 1049-1101.

 « Déconstruction et littérature - Glas, un guide de lecture ». in Derrida - La Déconstruction, Textes réunis et édités par Charles Ramond (textes de Simon Critchley, Jean-Christophe Goddard, Denis Kambouchner, Charles Ramond, Jean-Michel Salanskis). Paris : PUF (coll. « Débats philosophiques », dirigée par Yves-Charles Zarka), 2005. 168 p., pp. 99-142, texte écrit à partir de « Sartre et Derrida lecteurs de Jean Genet », communication prononcée lors du colloque international « Littérature et Philosophie », Université de Toulouse-Le-Mirail / ERRAPHIS (Équipe de Recherche sur les Rationalités Philosophiques et les Savoirs), 26-28 avril 2001 (org. Danielle Montet).

 « Matérialisme et ‘Hantologie’ -Jacques Derrida, Spectres de Marx (1993) », conférence (non publiée) prononcée lors du Colloque « La Réception de la Philosophie Allemande en France », Bordeaux, Goethe-Institut, 26 octobre 2002.

 « Derrida / Searle / Austin, Déconstruction et performativité : l’oral et le moral ». À paraître avec les actes du colloque Morale et performativité - nature, normes, conventions, Bordeaux 3, juin 2003, réunis et édités par Layla RAÏD et Bruno AMBROISE.

 « Ce qui nous revient -Hommage à Jacques Derrida », Conférence prononcée devant la Société de Philosophie de Bordeaux le 4 mai 2005, et à l’Institut Français de Riga, le 22 septembre 2006,. Publication en cours dans la revue Cités (Presses Universitaires de France).

 « Husserl, Derrida, Cavell : les voix de la philosophie au XXème siècle », Exposé prononcé le 8 juin 2006 dans le séminaire du CREPHINAT (Centre Recherches Philosophiques sur la Nature, Équipe d’Accueil 3654, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, http://crephinat.u-bordeaux3.fr/) sur « La reconnaissance des voix », à paraître avec les actes de ce séminaire.

[2Spinoza au XXe siècle, actes des Journées d’études organisées à la Sorbonne les 14 et 21 janvier, 11 et 18 mars 1990, par le Centre de Recherche sur l’Histoire des Systèmes de Pensée Modernes de l’Université de Paris 1 (Dir. Olivier Bloch) avec la collaboration de Pierre Macherey, Hélène Politis et Jean Salem ; présentation de Olivier Bloch. Paris : PUF (« Philosophie d’Aujourd’hui), 1993. XIV-592 p.

[3Bibliographie complète : http://perso.orange.fr/charles.ramo... .

[4Pour une étude des relations entre Leibniz et Spinoza, et pour l’approfondissement des raisons qui ont rendu leurs doctrines incompatibles, on se reportera à la magistrale thèse de Doctorat de Mogens Laerke, Leibniz et Spinoza, Genèse d’une Opposition (Dir. Pierre-François Moreau), soutenue en septembre 2003 à l’Université de Paris-4 Sorbonne.

[5Voir C. Ramond, « Le Nœud Gordien - Pouvoir, Puissance et Possibilité dans les Philosophies de l’Âge Classique- », in Le Pouvoir (recueil dirigé par Jean-Christophe Goddard et Bernard Mabille). Paris : Vrin/Intégrale, 1994, pp. 109-148 ; repris (légèrement modifié) in Spinoza et la Pensée Moderne - Constitutions de l’Objectivité, op. cit. (voir ci-dessus n. 1), pp. 129-172. Et également « Les Dispositions sont-elles des manières d’être - Discussion de l’ouvrage d’Emmanuel Bourdieu Savoir Faire - Contribution à une Théorie Dispositionnelle de l’Action (Paris : Seuil, 1998) », à paraître aux Presses Universitaires de Bordeaux dans les Actes du Colloque « Puissance et Être en puissance -Confrontations et appropriations contemporaines en métaphysique et ontologie » (CREPHINAT, Centre Recherche Philosophiques sur la Nature, Université Bordeaux 3), 7-8 février 2003, Organisé et Publié par Claudie Lavaud (contributions de Martine de Gaudemar, Jérôme Laurent, David Lefèvre, Claudie Lavaud, Laurent Lavaud, Bernard Mabille, Charles Ramond, Alexandra Roux).

[6Rédigée sous la direction d’abord de Claude Bruaire, puis, à sa mort, de Jean-Marie Beyssade. Paris﷓4 Sorbonne, 1992. Publiée sous le même titre aux PUF en 1995 (voir n. 1 ci-dessus).

[7Voir par exemple Vincent Carraud, Causa sive Ratio, La Raison de la Cause, de Suarez à Leibniz. Paris : PUF (« Épiméthée »), 2002.

[8Paris : PUF (« Nouvelle Encyclopédie Philosophique »), 1943.

[9Paris : PUF (« Épiméthée »), 1981.

[10Jacques Derrida, Le Droit à la Philosophie (Paris : Galilée, 1990), p. 476.

[11Voir sur ce sujet le livre de Victor Kal, De joodse religie in de moderne wijsbegeerte : van Spinoza tot Derrida. Kampen : Agora, 2000. 131 p. On se reportera également à l’ouvrage classique de Gabriel Albiac, La synagogue vide. Les sources marranes du spinozisme (Traduit de l’espagnol et du portuguais par Marie-Lucie Copete et Jean-Frédéric Schaub). Paris : Presses Universitaires de France (« Pratiques Théoriques »), 1994 (Titre original : La sinagoga vacia. Un estudio de las fuentes marranas del espinosismo. Madrid : Hiperion, 1987).

[12Jacques Derrida, Circonfession (in Geoffrey Bennington et Jacques Derrida, Jacques Derrida. Paris : Seuil, coll. « Les Contemporains », 1991), p. 70-71.

[13Geneviève Brykman, la Judéité de Spinoza. Paris : Vrin (« Varia »), 1972. 135 p.

[14Voir par exemple Henry Méchoulan, Être Juif à Amsterdam au Temps de Spinoza. Paris : A. Michel, 1991. Léo Strauss, Le testament de Spinoza : Écrits de Léo Strauss sur Spinoza et le Judaïsme (textes réunis, traduits et annotés par Gérard Almaleh, Albert Baraquin, et Mireille Depadt-Ejchenbaum). Paris : Éditions du Cerf (« La nuit surveillée »), 1991. Claude Tresmontant, L’Opposition métaphysique au monothéisme hébreu, de Spinoza à Heidegger. Paris : F.-X. de Guibert, 1996. Mino Chamla, Spinoza e il concetto della tradizione ebraica. Milano : FrancoAngeli, 1996. Patricia Trojman Aim, Les Sources Hébraïques de la Joie et de la Persévérance dans l’Être chez Spinoza, Thèse de Doctorat de l’Université de Nice (Dir. Jean-Paul Larthomas), 1998. Rappelons également le recueil de textes de Carl Gebhardt, Spinoza, Judaïsme et baroque, textes de C. G. réunis et présentés par Saverio Ansaldi ; traduction de l’allemand par Sylvie Riboud-Sainclair. Paris : Presses de l’Université de Paris Sorbonne (« Groupe de Recherches Spinozistes, Travaux et Documents »), 2000.

[15Voir l’incomparable ouvrage d’Alexandre Matheron, Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza. Paris : Aubier-Montaigne (« Analyse et Raisons »), 1971.

[16Jacques Derrida, La Carte Postale. De Socrate à Freud et au-delà. Paris : Flammarion : 1980. « Pourquoi préférer écrire sur des cartes ? », est-il par exemple demandé p. 26.

[17Par exemple, dans Envois, p. 137 : « [un blanc] Tu dors encore au moment où je pars. Ce que je voulais te dire depuis mon retour - et que je ne peux que t’écrire -, c’est que, tout en comprenant, justifiant, acceptant, toutes tes ‘raisons’, j’ignore ce qu’il y a de décisif, de déterminant, si tu veux, dans ta triste ‘détermination’, cela reste pour moi un secret inintelligible. Sentiment qu’une autre décide pour toi, te destine à cette ‘détermination’ sans que tu saches bien toi-même de quoi il y va. Il y a une autre en toi, qui par derrière te dicte la chose terrible, et elle n’est pas mon alliée, je n’ai sans doute jamais eu affaire avec elle, nous (oui, nous) ne la connaissons pas » ; p. 138 : « Malgré la ‘détermination’ (ce mot me tue, plus que la chose peut-être), tu es toute proche » ; p. 140 : « Ton spectre (l’autre, la mauvaise, cette espèce de modiste maternante qui te dicte les ‘déterminations’ sentencieuses) avait disparu comme par enchantement, enfin seuls » ; p. 171 : « Ce que tu me dis ne m’aide pas beaucoup, tu laisses la modiste reprendre le dessus, je vois, dès que j’ai le dos tourné, et ta ‘détermination’ se refaire des forces » ; p. 184-185 : « [un blanc] Je ne laisse pas ce mot sur le secrétaire pour te convaincre ou pour plaider, seulement pour te dire que sans rien accepter, j’accepte ta ‘détermination’. Elle me reste toujours, sache-le, secrète, commandée par un secret (un jour tu auras le courage de me l’écrire et ce sera le dernier coup, je n’en apprendrai rien mais tout se révèlera de ce que nous avons vécu en négatif), elle me reste anonyme surtout. Ce n’est pas toi qui te ‘détermines’ ainsi. Tu deviens quelqu’un en te déterminant mais ce qui te détermine ou qui se détermine, ce n’est pas toi ».

[18Thème qui structure, de façon très cohérente, la critique derridienne du Séminaire de Lacan sur la Lettre Volée de Poe (« Le Facteur de la Vérité », dans La Carte Postale).

[19Monique Schneider, « Le fini, l’autre et le savoir chez Spinoza et chez Freud ». Cahiers Spinoza 1. Paris : Éditions Répliques, 1997, 267-319.

[20Spinoza, Lettre 30 à Oldenbourg, 1665.

[21Éthique III 2 scolie : Etenim, quid corpus possit, nemo hucusque determinavit, hoc est, neminem hucusque experientia docuit, quid corpus ex solis legibus naturae, quatenus corporea tantum consideratur, possit agere, et quid non possit, nisi a mente determinatur (« Et de fait, ce que peut le corps, personne jusqu’à présent ne l’a déterminé, c’est-à-dire, l’expérience n’a appris à personne jusqu’à présent ce que le corps peut faire par les seules lois de la nature en tant qu’on la considère seulement comme corporelle, et ce qu’il ne peut faire à moins d’être déterminé par l’esprit » - Traduction de Bernard Pautrat).

[22Éthique I Appendice : quasi ordo aliquid in naturâ praeter respectum ad nostram imaginationem esset (« Comme si l’ordre était quelque chose dans la nature indépendamment de notre imagination » - traduction de Bernard Pautrat).

[23Concentrée en Éthique IV Axiome : Nulla res singularis in rerum naturâ detur, quâ potentior, et fortior non detur alia. Sed quâcunque datâ dature alia potentior, à quâ illa data potest destrui (« Il n’y a pas de chose singulière, dans la nature des choses, qu’il n’y en ait une autre plus puissante et plus forte. Mais étant donnée une chose quelconque, il y en a une autre plus puissante, par qui la première peut être détruite » -traduction de Bernard Pautrat).

[24La dualité intériorité / extériorité fait le fond des analyses de Alexandre Matheron, dans Individu et Communauté chez Spinoza (Paris : Minuit, 1969, réimpr. 1988 avec un « Avertissement ») ; elle est la conclusion de l’ouvrage de Pierre-François Moreau Spinoza. L’expérience et l’éternité. Recherches sur la Constitution du Système Spinoziste (Paris : PUF, 1994).

[25J’ai développé ce point dans « De bouche à oreille et d’esprit à esprit : voix intérieures et voix extérieures chez Hobbes et chez Spinoza », communication prononcée au colloque « Spinoza et Hobbes, Libres Penseurs ? », (organisé par Philippe Drieux et Julie Saada-Gendron) Lyon, ENS-LSH / CERPHI / UMR 5037 CNRS, 5-6 mai 2003, à paraître.

[26Voir principalement (outre l’article mentionné dans la note 25 ci-dessus) « Éternité, externité : sur une dimension prophétique de la philosophie de Spinoza », in Quel Avenir pour Spinoza ? - Enquête sur les spinozismes à venir, Actes du colloque tenu à l’Université Pierre Mendés France de Grenoble II les 11 et 12 mars 1999 (textes réunis et édités sous la direction de Lorenzo Vinciguerra). Paris : Kimé, 2001, 207-228. Et « La loi du Nombre - ou la Démocratie comme ‘Régime Absolu’ », Introduction générale à la traduction du Traité Politique (voir n. 1 ci-dessus).