TTP - Chap. XVII - §§11-15 : L’État des Hébreux : son administration.

  • 7 mai 2006


[11] En premier lieu, il fut ordonné au peuple de construire une demeure qui fût comme la cour de Dieu, c’est-à-dire de la Majesté suprême de cet État. Et cette demeure ne dut pas être construite aux frais d’un seul, mais aux frais de tout le peuple afin que la demeure où Dieu devait être consulté, fût propriété commune. Pour servir dans ce palais de Dieu et l’administrer furent élus les Lévites ; pour occuper le rang suprême parmi eux et être comme le second après le Roi Dieu, fut élu Aaron, le frère de Moïse, à qui ses fils succédaient légitimement. Aaron donc, comme étant le plus proche de Dieu, était l’interprète souverain des lois divines, celui qui donnait au peuple les réponses de l’Oracle divin et qui, enfin, adressait à Dieu des supplications pour le peuple. Que si, avec cela, il avait eu le droit de commander ce que Dieu voulait, il ne lui manquait rien pour être un Monarque absolu. Mais il n’avait pas ce droit et, d’une manière générale, toute la tribu de Lévi fut tenue tellement à l’écart du commandement commun, qu’elle n’eut même pas, comme les autres tribus, la possession d’une part de biens d’où elle put tirer au moins sa subsistance ; Moïse institua qu’elle serait nourrie par le reste du peuple, dans des conditions telles, toutefois, qu’elle fût toujours tenue en grand honneur par la foule, en tant que seule vouée à Dieu.

[12] En second lieu, quand une milice eut été formée par les autres douze tribus, ordre leur fut donné d’envahir le domaine des Chananéens, de le diviser en douze lots et de les repartir par le sort. Pour ce service furent élus douze chefs, un de chaque tribu, auxquels, en même temps qu’à Josué et au grand pontife Eléazar, fut donné le droit de partager les terres en douze lots égaux et de les répartir par le sort. Pour commander en chef la milice, Josué fut désigné et seul il eut, dans ce nouvel ordre de choses, le droit de consulter Dieu, non comme Moïse, seul dans sa tente ou dans le tabernacle, mais par l’intermédiaire du grand Pontife à qui seul étaient données les réponses de Dieu, après quoi il appartenait à Josué de promulguer les commandements communiqués par le Pontife et d’y astreindre le peuple ; de trouver et d’employer tous moyens d’exécution ; de choisir dans la milice autant d’hommes et ceux qu’il voudrait ; d’envoyer des ambassadeurs en son nom ; tout le droit de la guerre était suspendu à son seul décret. Nul d’ailleurs ne lui succédait légitimement ni n’était choisi qu’immédiatement par Dieu, et cela quand l’intérêt du peuple entier l’exigeait ; pour le reste, les chefs des Tribus avaient toute l’administration des affaires de guerre comme de paix, ainsi que je le montrerai bientôt.

[13] Enfin, Moïse ordonna que tous, depuis la vingtième année jusqu’à la soixantième, fussent astreints au service militaire et que du peuple seul une armée fût formée, laquelle armée jurait fidélité non à son commandant en chef ni au grand Pontife, mais à la Religion, c’est-à-dire à Dieu. Cette armée était pour cette raison appelée armée de Dieu, ses bataillons bataillons de Dieu, et Dieu, en retour, était chez les Hébreux le Dieu des armées ; pour cette cause dans les grandes batailles de l’issue desquelles dépendait la victoire ou la défaite de tout le peuple, l’arche d’alliance était portée au milieu de l’armée, de façon que le peuple, combattant comme s’il voyait son Roi présent, donnât tout ce qu’il avait de force.


[14] De ces commandements donnés par Moïse à ses successeurs nous voyons sans peine ressortir qu’il élut des administrateurs non des dominateurs de l’État. A personne, en effet, il ne donna le droit de consulter Dieu où il voudrait et seul ; en conséquence il ne donna à personne l’autorité, que lui-même avait eue, d’établir des lois et de les abroger, de décider de la guerre et de la paix, d’élire les administrateurs tant du temple que de la cité ; car telles sont les fonctions de celui qui occupe le pouvoir souverain. Le grand Pontife avait bien le Droit d’interpréter les lois et de donner les réponses de Dieu, mais non, comme Moïse, quand il voulait, seulement à la demande du commandant des troupes ou du conseil suprême ou d’autres personnes qualifiées. En revanche le chef suprême de l’armée et les conseils pouvaient consulter Dieu quand ils voulaient, mais ne recevaient de réponse que par le grand Pontife. C’est pourquoi les paroles de Dieu n’étaient pas, dans la bouche du Pontife, des décrets comme dans celle de Moïse, mais des réponses seulement ; une fois reçues par Josué et les conseils, et alors seulement, elles avaient force de commandement et de décret. En second lieu ce souverain Pontife, qui recevait de Dieu les réponses de Dieu, n’avait pas de milice et ne possédait pas en droit le commandement ; en revanche ceux qui par droit possédaient les terres, ne pouvaient par droit établir de lois. De plus, le grand Pontife, aussi bien Aaron que son fils Eléazar, fut bien désigné par Moïse mais, Moïse mort, personne n’eut plus le droit d’élire un pontife, le fils succédait légitimement au père. Le chef suprême de l’armée fut aussi désigné par Moïse et investi de la qualité de commandant non, en vertu du droit du souverain Pontife, mais par le droit de Moïse qui lui fut transféré ; et c’est pourquoi, Josué mort, le pontife n’élut personne à sa place, les chefs des tribus non plus ne consultèrent pas Dieu sur la désignation d’un nouveau chef, mais chacun garda à l’égard de la milice de sa tribu, et tous ensemble à l’égard de la milice entière, le droit de Josué. Et, semble-t-il, point ne fut besoin d’un Chef suprême, sauf quand, unissant toutes leurs forces, ils devaient combattre un ennemi commun. Cela arriva d’ailleurs au temps de Josué où nul n’avait encore de demeure fixe et où tout appartenait en droit à tous. Plus tard quand toutes les tribus eurent partagé entre elles les terres acquises par droit de conquête et celles qu’ils avaient encore à acquérir, et que tout n’appartint plus à tous, par cela même, la raison d’être d’un chef commun disparut, puisque, à dater de ce partage, les hommes des tribus distinctes durent être réputés confédérés plutôt que concitoyens. A l’égard de Dieu et de la Religion sans doute on devait les tenir pour concitoyens ; mais à l’égard du Droit que l’une des tribus avait sur l’autre, elles étaient confédérées presque de la même façon (le temple commun à part) que leurs Hautes Puissances, les États confédérés de Hollande. La division d’une chose commune en parts consiste uniquement en effet en ce que chacun soit seul maître de sa part et en ce que les autres renoncent au droit qu’ils avaient sur elle. Pour cette cause, Moïse désigna des chefs de tribus, afin qu’après le partage chacun eût le commandement et la charge de sa part ; c’est-à-dire le soin de consulter Dieu sur les affaires de sa tribu par l’intermédiaire du grand Pontife, de commander sa milice, de fonder et de fortifier des villes, d’y instituer des juges, de faire la guerre à l’ennemi de son État particulier, et généralement d’administrer les affaires de guerre et de paix. Il n’était tenu de reconnaître aucun juge que Dieu [1] ou un prophète expressément envoyé par Dieu ; en cas qu’il fit défection à Dieu, les autres tribus ne devaient pas le juger comme un sujet, mais lui faire la guerre comme à un ennemi, ayant manqué à la foi du traité. Nous en trouvons des exemples dans l’Écriture. Après la mort de Josué, les fils d’Israël, et non un commandant en chef, consultèrent Dieu ; quand il fut connu que la tribu de Juda devait la première de toutes entreprendre la guerre contre son ennemi, elle fit un traité avec la seule tribu de Siméon pour joindre leurs forces contre l’ennemi ; dans ce traité ne furent pas comprises les autres tribus (voir Juges, chap. I, vs. 1, 2, 3) ; chacune fit la guerre séparément (comme il est raconté dans le même chapitre) contre son ennemi, et accepta la soumission et la foi de qui elle voulut, bien qu’il fût dans les commandements de ne traiter à aucune condition et d’exterminer sans merci tous les ennemis ; ceux qui sont coupables de ce péché sont repris à la vérité, mais personne ne les appelle en justice. Et il n’y avait point là de raison pour qu’une guerre éclatât entre les tribus et qu’elles intervinssent dans les affaires les unes des autres. Au contraire, la tribu de Benjamin ayant offensé les autres et rompu le lien qui l’unissait à elles de façon qu’aucune des tribus confédérés ne pût plus trouver en elle une sûre alliée, il lui fut fait la guerre et, trois combats livrés, les autres tribus, enfin victorieuses, mirent à mort, en vertu du droit de guerre, tous ceux de Benjamin coupables et innocents, ce qu’ensuite et trop tard elles regrettèrent et déplorèrent.

[15] Par ces exemples se trouve entièrement confirmé ce que nous avons dit du droit de chaque tribu. Peut-être demandera-t-on qui désignait le successeur du chef de chacune ? Sur ce point je ne puis rien tirer de certain de l’Écriture. Je conjecture toutefois, puisque chaque tribu était divisée en familles dont les chefs étaient choisis parmi les Anciens de la famille, que le plus âgé de ces Anciens prenait de droit la place du chef de la tribu. Parmi les Anciens en effet Moïse choisit soixante-dix coadjuteurs qui formaient avec lui le Conseil suprême ; ceux qui eurent l’administration du pouvoir après la mort de Josué, sont appelés Vieillards dans l’Écriture ; rien enfin n’est plus fréquent chez les Hébreux que l’appellation de Vieillards donnée aux juges, comme je pense que tout le monde sait. Il importe d’ailleurs assez peu à notre propos de savoir avec certitude comment les Chefs des tribus étaient désignés ; il suffit d’avoir montré, qu’après la mort de Moïse, personne n’a exercé toutes les fonctions du commandement suprême. Puisque, en effet, tout ne dépendait pas du décret d’un seul homme, ni d’un seul Conseil, ni du peuple, et que l’administration de la chose publique appartenait pour une part à une seule tribu, pour le reste aux autres, avec un droit égal des deux côtés, il est très évident qu’à dater de la mort de Moise, l’État n’est plus demeuré monarchique, non plus qu’aristocratique ni populaire, mais a été Théocratique : 1° parce que la demeure royale de l’État était le temple et que, par rapport à lui seulement, comme nous l’avons montré, les hommes de toutes les tribus étaient concitoyens ; 2° parce que tous les citoyens devaient jurer fidélité à Dieu, leur juge suprême. Enfin parce qu’en cas de besoin nul n’était élu que par Dieu au commandement suprême. Moïse le prédit expressément au peuple au nom de Dieu (Deutér., chap. XVIII, v. 15) et, en fait, l’élection de Gédéon, de Samson et de Samuel l’atteste, ce qui ne permet pas de douter que les autres chefs fidèles n’aient été désignés de la même manière, bien que cela ne soit pas dit dans leur histoire.



[1Voir note XXXVIII .

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