Traité politique, II, §23

  • 15 décembre 2004


De même donc que le péché et l’obéissance (au sens strict) ne peuvent se concevoir que dans un État [1], de même la justice et l’injustice. Il n’y a rien en effet dans la nature que l’on puisse dire appartenir de droit à l’un et non à l’autre, mais tout est à tous, c’est-à-dire que chacun a droit dans la mesure où il a pouvoir. Dans un État au contraire, où la loi commune décide ce qui est à l’un et ce qui est à l’autre, celui-là est appelé juste, qui a une volonté constante d’attribuer à chacun le sien, injuste au contraire, celui qui s’efforce de faire sien ce qui est à un autre.


Traduction Saisset :

De même donc que le péché et l’obéissance, pris dans le sens le plus strict, ne se peuvent concevoir que dans la vie sociale, il en faut dire autant de la justice et de l’injustice. Car, il n’y a rien dans la nature qui appartienne à bon droit à celui-ci plutôt qu’à celui-là ; mais toutes choses sont à tous, et tous ont le pouvoir de se les approprier. Mais dans l’état de société, du moment que le droit commun établit ce qui est à celui-ci et ce qui est à celui-là, l’homme juste est celui dont la constante volonté est de rendre à chacun ce qui lui est dû ; l’homme injuste celui qui, au contraire, s’efforce de faire sien ce qui est à autrui.


Ut itaque peccatum et obsequium stricte sumptum, sic etiam iustitia et iniustitia non nisi in imperio possunt concipi. Nam nihil in natura datur, quod iure posset dici huius esse et non alterius ; sed omnia omnium sunt, qui scilicet potestatem habent sibi eadem vindicandi. At in imperio, ubi communi iure decernitur, quid huius, quidque illius sit, ille iustus vocatur, cui constans est voluntas tribuendi unicuique suum, iniustus autem, qui contra conatur id, quod alterius est, suum facere.


[1Hobbes a la même position. Voyez Léviathan, chapitre 24.

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