Traité politique, VIII, §01

  • 26 mars 2005


Nous avons traité jusqu’ici de l’État monarchique. Nous allons dire maintenant comment doit être institué un État aristocratique pour pouvoir se maintenir. Nous l’appelons aristocratique, parce que le pouvoir appartient non à un seul mais à quelques-uns choisis dans la masse de la population et que par la suite nous appellerons Patriciens. Je dis expressément choisis, car c’est là la différence principale entre l’État aristocratique et l’État démocratique ; dans un État aristocratique le droit de prendre part au gouvernement dépend du choix seul, tandis que dans une démocratie c’est un droit qu’on a de naissance ou que l’on tient du sort (comme nous le dirons en son lieu). Et ainsi, quand bien même dans un État le peuple entier serait admis dans le patriciat, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un droit héréditaire, ni d’un droit qui se transmet à d’autres en vertu de quelque loi générale, l’État reste aristocratique, nul n’étant admis au nombre des patriciens qu’en vertu d’un choix exprès. Or si les patriciens étaient seulement deux, l’un d’eux s’efforcerait d’être plus puissant que l’autre, et l’État, en raison de la puissance trop grande de chacun d’eux, serait divisé en deux parties, ou trois, ou quatre, ou cinq, si ceux qui possèdent le pouvoir étaient au nombre de quatre ou cinq. Mais ces parties seraient d’autant plus faibles que le nombre des co-partageants serait plus grand. D’où suit que dans un État aristocratique, pour qu’il soit stable, il faut un nombre minimum de patriciens, nombre à déterminer en tenant compte nécessairement de la grandeur de l’État.


Traduction Saisset :

Je n’ai encore parlé que de la monarchie, Maintenant, comment faut-il organiser le gouvernement aristocratique pour qu’il puisse durer ? c’est ce que je vais dire.
J’ai appelé gouvernement aristocratique celui qui est dirigé, non par un seul, mais par un certain nombre de citoyens élus parmi la multitude (je les nommerai dorénavant patriciens). Remarquez que je dis un certain nombre de citoyens élus. En effet, il y a cette différence principale entre le gouvernement démocratique et l’aristocratique, que dans celui-ci le droit de gouverner dépend de la seule élection, tandis que dans l’autre il dépend, comme je le montrerai au lieu convenable, soit d’un droit inné, soit d’un droit acquis par le sort ; et par conséquent, alors même que dans un État tous les citoyens pourraient être admis à entrer dans le corps des patriciens, ce droit n’étant pas héréditaire et ne se transmettant pas à d’autres en vertu d’une loi commune, l’État ne laisserait pas d’être aristocratique, et cela parce que nul n’y serait reçu parmi les patriciens qu’en vertu d’une expresse élection. Maintenant, si vous n’admettez que deux patriciens, l’un s’efforcera d’être plus puissant que l’autre, et l’État risquera, à cause de la trop grande puissance de chacun d’eux, d’être divisé en deux factions, et il risquera de l’être en trois, quatre ou cinq factions, si le pouvoir est entre les mains de trois, quatre ou cinq patriciens. Les factions, au contraire, seront plus faibles à mesure qu’il y aura un plus grand nombre de gouvernants. D’où il suit que pour que le gouvernement aristocratique soit stable, il faut tenir compte de la grandeur de l’empire pour déterminer le minimum du nombre des patriciens.


Huc usque de imperio monarchico. Qua autem ratione aristocraticum instituendum sit, ut permanere possit, hic iam dicemus. Aristocraticum imperium illud esse diximus, quod non unus, sed quidam ex multitudine selecti tenent, quos imposterum patricios appellabimus. Dico expresse : quod quidam selecti tenent. Nam haec praecipua est differentia inter hoc et democraticum imperium, quod scilicet in imperio aristocratico gubernandi ius a sola electione pendeat, in democratico autem maxime a iure quodam innato, vel fortuna adepto (ut suo loco dicemus) ; atque adeo, tametsi imperii alicuius integra multitudo in numerum patriciorum recipiatur, modo illud ius hereditarium non sit, nec lege aliqua communi ad alios descendat, imperium tamen aristocraticum omnino erit, quandoquidem nulli nisi expresse electi in numerum patriciorum recipiuntur. At si hi duo tantummodo fuerint, alter altero potior esse conabitur, et imperium facile ob nimiam uniuscuiusque potentiam, in duas partes dividetur, et in tres aut quatuor aut quinque, si tres aut quatuor aut quinque id tenuerint. Sed partes eo debiliores erunt, quo in plures ipsum imperium delatum fuerit. Ex quo sequitur, in imperio aristocratico, ut stabile sit, ad minimum patriciorum numerum determinandum necessario habendam esse rationem magnitudinis ipsius imperii.

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