EI - Proposition 11 - scolie

  • 2 avril 2004

Dans cette dernière démonstration, j’ai voulu faire voir l’existence de Dieu a posteriori, afin que la preuve fût plus aisée à percevoir ; ce n’est pas que l’existence de Dieu ne suive a priori du même principe. Car, si pouvoir exister c’est puissance, il s’ensuit que, plus à la nature d’une chose il appartient de réalité, plus elle a par elle-même de forces pour exister ; ainsi un Être absolument infini, autrement dit Dieu, a de lui-même une puissance absolument infinie d’exister et, par suite, il existe absolument. Peut-être cependant beaucoup de lecteurs ne verront-ils pas aisément l’évidence de cette démonstration, parce qu’ils ont accoutumé de considérer seulement les choses qui proviennent de causes extérieures ; et parmi ces choses, celles qui se forment vite, c’est-à-dire existent facilement, ils les voient aussi périr facilement, tandis que celles qu’ils conçoivent comme plus riches en possessions, ils les jugent plus difficiles à faire, c’est-à-dire qu’ils ne croient pas qu’elles existent si facilement. Pour les libérer de ces préjugés cependant, je n’ai pas besoin de montrer ici dans quelle mesure est vrai ce dicton : ce qui se fait vite périt de même ; ni même si, eu égard à la nature totale, toutes choses sont également faciles ou non. Il suffit de noter seulement que je ne parle pas ici de choses qui proviennent de causes extérieures, mais seulement des substances, qui (Prop. 6) ne peuvent être produites par aucune cause extérieure. Car pour les choses qui proviennent de causes extérieures, qu’elles se composent de beaucoup de parties ou d’un petit nombre, tout ce qu’elles ont de perfection ou de réalités est dû à la vertu de la cause extérieure, et ainsi leur existence provient de la seule perfection de cette cause, non de la leur. Au contraire, tout ce qu’une substance a de perfection, cela n’est dû à aucune cause extérieure, c’est pourquoi de sa seule nature doit suivre son existence, qui par là n’est autre chose que son essence. La perfection donc d’une chose n’ôte pas l’existence, mais au contraire la pose ; c’est son imperfection qui l’ôte ; et ainsi nous ne pouvons être plus certains de l’existence d’aucune chose que de l’existence d’un Être absolument infini ou parfait, c’est-à-dire de Dieu. Car, puisque son essence exclut toute imperfection, et enveloppe la perfection absolue, par là même elle ôte toute raison de douter de son existence et en donne une certitude souveraine, comme je crois que le verra toute personne un peu attentive. [*]


In hac ultima demonstratione Dei existentiam a posteriori ostendere volui ut demonstratio facilius perciperetur ; non autem propterea quod ex hoc eodem fundamento Dei existentia a priori non sequatur. Nam cum posse existere potentia sit, sequitur quo plus realitatis alicujus rei naturæ competit eo plus virium a se habere ut existat adeoque Ens absolute infinitum sive Deum infinitam absolute potentiam existendi a se habere, qui propterea absolute existit. Multi tamen forsan non facile hujus demonstrationis evidentiam videre poterunt quia assueti sunt eas solummodo res contemplari quæ a causis externis fiunt et ex his quæ cito fiunt hoc est quæ facile existunt, eas etiam facile perire vident et contra eas res factu difficiliores judicant hoc est ad existendum non adeo faciles ad quas plura pertinere concipiunt. Verum ut ab his præjudiciis liberentur, non opus habeo hic ostendere qua ratione hoc enunciatum "quod cito fit cito perit" verum sit nec etiam an respectu totius naturæ omnia æque facilia sint an secus. Sed hoc tantum notare sufficit me hic non loqui de rebus quæ a causis externis fiunt sed de solis substantiis, quæ (per propositionem 6) a nulla causa externa produci possunt. Res enim quæ a causis externis fiunt, sive eæ multis partibus constent sive paucis, quicquid perfectionis sive realitatis habent, id omne virtuti causæ externæ debetur adeoque earum existentia ex sola perfectione causæ externæ, non autem suæ oritur. Contra quicquid substantia perfectionis habet, nulli causæ externæ debetur ; quare ejus etiam existentia ex sola ejus natura sequi debet, quæ proinde nihil aliud est quam ejus essentia. Perfectio igitur rei existentiam non tollit sed contra ponit ; imperfectio autem contra eandem tollit adeoque de nullius rei existentia certiores esse possumus quam de existentia Entis absolute infiniti seu perfecti hoc est Dei. Nam quandoquidem ejus essentia omnem imperfectionem secludit absolutamque perfectionem involvit, eo ipso omnem causam dubitandi de ipsius existentia tollit summamque de eadem certitudinem dat, quod mediocriter attendenti perspicuum fore credo.


[*(Saisset) : Dans cette dernière démonstration, j’ai voulu établir l’existence de Dieu a posteriori, afin de rendre la chose plus facilement concevable ; mais ce n’est pas à dire pour cela que l’existence de Dieu ne découle a priori du principe même qui a été posé. Car, puisque c’est une puissance que de pouvoir exister, il s’ensuit qu’à mesure qu’une réalité plus grande convient à la nature d’une chose, elle a de soi d’autant plus de force pour exister ; et par conséquent, l’Etre absolument infini ou Dieu a de soi une puissance infinie d’exister, c’est-à-dire existe absolument. Et toutefois plusieurs peut-être ne reconnaîtront pas aisément l’évidence de cette démonstration, parce qu’ils sont habitués à contempler exclusivement cet ordre de choses qui découlent de causes extérieures, et à voir facilement périr ce qui naît vite, c’est-à-dire ce qui existe facilement, tandis qu’au contraire ils pensent que les choses dont la nature est plus complexe doivent être plus difficiles à faire, c’est-à-dire moins disposées à l’existence. Mais pour détruire ces préjugés, je ne crois pas avoir besoin de montrer ici en quel sens est vraie la maxime : Ce qui naît aisément périt de même, ni d’examiner s’il n’est pas vrai qu’à considérer la nature entière, toutes choses existent avec une égale facilité. Il me suffit de faire remarquer que je ne parle pas ici des choses qui naissent de causes extérieures, mais des seules substances, lesquelles (par la Propos. 6) ne peuvent être produites par aucune cause de ce genre. Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soit qu’elles se composent d’un grand nombre ou d’un petit nombre de parties, doivent tout ce qu’elles ont de perfection ou de réalité à la vertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur. Au contraire, tout ce qu’une substance à de perfection, elle ne le doit à aucune cause étrangère, et c’est pourquoi son existence doit aussi découler de sa seule nature et n’être autre chose que son essence elle-même. Ainsi donc la perfection n’ôte pas l’existence, elle la fonde ; c’est l’imperfection qui la détruit, et il n’y a pas d’existence dont nous puissions être plus certains que de celle d’un être absolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection et enveloppant la perfection absolue, toute espèce de doute sur son existence disparaît, et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu’on en possède est la plus haute certitude.

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