EI - Proposition 11

  • 2 avril 2004

Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement.

DÉMONSTRATION

Si vous niez cela, concevez, si cela est possible, que Dieu n’existe pas. Son essence (Axiome 7) n’enveloppe donc pas l’existence. Or cela (Proposition 7) est absurde ; donc Dieu existe nécessairement. C.Q.F.D.

AUTRE DÉMONSTRATION

Pour toute chose il doit y avoir une cause, ou raison assignable, pourquoi elle existe ou pourquoi elle n’existe pas. Par exemple, si un triangle existe, il doit y avoir une raison ou cause pourquoi il existe ; s’il n’existe pas, il doit aussi y avoir une raison ou cause qui empêche qu’il n’existe ou ôte son existence. Cette raison ou cause d’ailleurs doit être contenue ou bien dans la nature de la chose ou bien hors d’elle. La raison, par exemple, pour laquelle un cercle carré n’existe pas, sa nature même l’indique, attendu qu’elle enveloppe une contradiction. Pourquoi une substance au contraire existe, cela suit aussi de sa seule nature, parce qu’elle enveloppe l’existence nécessaire (Proposition 7). Il en est autrement de la raison qui fait qu’un cercle ou un triangle existe, ou qu’il n’existe pas ; elle ne suit pas de leur nature, mais de l’ordre de la nature corporelle tout entière ; car il doit suivre de cet ordre, ou bien que ce triangle existe actuellement par nécessité, ou qu’il est impossible qu’il existe actuellement. Et cela est par soi évident. Il s’ensuit que cette chose existe nécessairement, pour laquelle il n’est donné aucune raison ou cause qui empêche qu’elle n’existe. Si donc aucune raison ou cause ne peut être donnée qui empêche que Dieu n’existe ou ôte son existence, on ne pourra du tout éviter de conclure qu’il existe nécessairement. Mais, pour qu’une telle raison ou cause pût être donnée, elle devrait être contenue ou bien dans la nature même de Dieu, ou en dehors de cette nature, c’est-à-dire dans une autre substance de nature autre. Car si elle était de même nature, il serait accordé par là même qu’un Dieu est donné. Mais une substance qui serait d’une autre nature, ne pourrait rien avoir de commun avec Dieu (Proposition 2) et donc ne pourrait ni poser son existence ni l’ôter. Puis donc que la raison ou cause qui ôterait l’existence divine ne peut être donnée en dehors de la nature de Dieu, elle devra nécessairement, si l’on veut qu’il n’existe pas, être contenue dans sa propre nature, laquelle devrait alors envelopper une contradiction. Or, il est absurde d’affirmer cela d’un Être absolument infini et souverainement parfait ; donc, ni en Dieu ni hors de Dieu il n’est donné aucune raison ou cause qui ôte son existence, et en conséquence Dieu existe nécessairement. C.Q.F.D.

AUTRE DÉMONSTRATION

Pouvoir ne pas exister c’est impuissance et, au contraire, pouvoir exister c’est puissance (comme il est connu de soi). Si donc ce qui existe à l’instant actuel nécessairement, ce sont seulement des êtres finis, des êtres finis seront plus puissants qu’un Être absolument infini ; or cela (comme il est connu de soi) est absurde ; donc ou bien rien n’existe ou bien un Être absolument infini existe aussi nécessairement. Or nous existons ou bien en nous-mêmes ou bien en une autre chose qui existe nécessairement (voir Axiome 1 et Proposition 7) ; donc un Être absolument infini, c’est-à-dire (par la Définition 6) Dieu, existe nécessairement. C.Q.F.D.
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Deus sive substantia constans infinitis attributis quorum unumquodque æternam et infinitam essentiam exprimit, necessario existit.

DEMONSTRATIO :

Si negas, concipe si fieri potest, Deum non existere. Ergo (per axioma 7) ejus essentia non involvit existentiam. Atqui hoc (per propositionem 7) est absurdum : ergo Deus necessario existit. Q.E.D.

ALITER :

Cujuscunque rei assignari debet causa seu ratio tam cur existit quam cur non existit. Exempli gratia si triangulus existit, ratio seu causa dari debet cur existit ; si autem non existit, ratio etiam seu causa dari debet quæ impedit quominus existat sive quæ ejus existentiam tollat. Hæc vero ratio seu causa vel in natura rei contineri debet vel extra ipsam. Exempli gratia rationem cur circulus quadratus non existat, ipsa ejus natura indicat ; nimirum quia contradictionem involvit. Cur autem contra substantia existat, ex sola etiam ejus natura sequitur quia scilicet existentiam involvit (vide propositionem 7). At ratio cur circulus vel triangulus existit vel cur non existit, ex eorum natura non sequitur sed ex ordine universæ naturæ corporeæ ; ex eo enim sequi debet vel jam triangulum necessario existere vel impossibile esse ut jam existat. Atque hæc per se manifesta sunt. Ex quibus sequitur id necessario existere cujus nulla ratio nec causa datur quæ impedit quominus existat. Si itaque nulla ratio nec causa dari possit quæ impedit quominus Deus existat vel quæ ejus existentiam tollat, omnino concludendum est eundem necessario existere. At si talis ratio seu causa daretur, ea vel in ipsa Dei natura vel extra ipsam dari deberet hoc est in alia substantia alterius naturæ. Nam si ejusdem naturæ esset, eo ipso concederetur dari Deum. At substantia quæ alterius esset naturæ, nihil cum Deo commune habere (per 2 propositionem) adeoque neque ejus existentiam ponere neque tollere posset. Cum igitur ratio seu causa quæ divinam existentiam tollat, extra divinam naturam dari non possit, debebit necessario dari, siquidem non existit, in ipsa ejus natura, quæ propterea contradictionem involveret. Atqui hoc de Ente absolute infinito et summe perfecto affirmare absurdum est ; ergo nec in Deo nec extra Deum ulla causa seu ratio datur quæ ejus existentiam tollat ac proinde Deus necessario existit. Q.E.D.

ALITER :

Posse non existere impotentia est et contra posse existere potentia est (ut per se notum). Si itaque id quod jam necessario existit, non nisi entia finita sunt, sunt ergo entia finita potentiora Ente absolute infinito atque hoc (ut per se notum) absurdum est ; ergo vel nihil existit vel Ens absolute infinitum necessario etiam existit. Atqui nos vel in nobis vel in alio quod necessario existit, existimus (vide axioma 1 et propositionem 7). Ergo Ens absolute infinitum hoc est (per definitionem 6) Deus necessario existit. Q.E.D.


[*(Saisset) : Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle est infinie, existe nécessairement. Démonstration Si vous niez Dieu, concevez, s’il est possible, que Dieu n’existe pas. Son essence n’envelopperait donc pas l’existence (par l’Axiome 7). Mais cela est absurde (par la Propos. 7). Donc Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D. Autre Démonstration Pour toute chose, on doit pouvoir assigner une cause ou raison qui explique pourquoi elle existe ou pourquoi elle n’existe pas. Par exemple, si un triangle existe, il faut qu’il y ait une raison, une cause de son existence. S’il n’existe pas, il faut encore qu’il y ait une raison, une cause qui s’oppose à son existence, ou qui la détruise. Or, cette cause ou raison doit se trouver dans la nature de la chose, ou hors d’elle. Par exemple, la raison pour laquelle un cercle carré n’existe pas est contenue dans la nature même d’une telle chose, puisqu’elle implique contradiction. Et de même, si la substance existe, c’est que cela résulte de sa seule nature, laquelle enveloppe l’existence (voyez la Propos. 7). Au contraire, la raison de l’existence ou de la non-existence d’un cercle ou d’un triangle n’est pas dans la nature de ces objets, mais dans l’ordre de la nature corporelle tout entière ; car il doit résulter de cet ordre, ou bien que déjà le triangle existe nécessairement, ou bien qu’il est impossible qu’il existe encore. Ces principes sont évidents d’eux-mêmes. Or, voici ce qu’on en peut conclure : c’est qu’une chose existe nécessairement quand il n’y a aucune cause ou raison qui l’empêche d’exister. Si donc il est impossible d’assigner une cause ou raison qui s’oppose à l’existence de Dieu ou qui la détruise, il faut dire que Dieu existe nécessairement. Or, pour qu’une telle cause ou raison fût possible, il faudrait qu’elle se rencontrât soit dans la nature divine, soit hors d’elle, c’est-à-dire dans une autre substance de nature différente ; car l’imaginer dans une substance de même nature, ce serait accorder l’existence de Dieu. Maintenant, si vous supposez une substance d’une autre nature que Dieu, n’ayant rien de commun avec lui, elle ne pourra (par la Propos. 2) être cause de son existence ni la détruire. Puis donc qu’on ne peut trouver hors de la nature divine une cause ou raison qui l’empêche d’exister, cette cause ou raison doit donc être cherchée dans la nature divine elle-même, laquelle, dans cette hypothèse, devrait impliquer contradiction. Mais il est absurde d’imaginer une contradiction dans l’être absolument infini et souverainement parfait. Concluons donc qu’en Dieu ni hors de Dieu il n’y a aucune cause ou raison qui détruise son existence, et partant que Dieu existe nécessairement. Autre Démonstration Pouvoir ne pas exister, c’est évidemment une impuissance ; et c’est une puissance, au contraire, que de pouvoir exister. Si donc l’ensemble des choses qui ont déjà nécessairement l’existence ne comprend que des êtres finis, il s’ensuit que des êtres finis sont plus puissants que l’être absolument infini, ce qui est de soi parfaitement absurde. Il faut donc, de deux choses l’une, ou qu’il n’existe rien, ou, s’il existe quelque chose, que l’être absolument infini existe aussi. Or nous existons, nous, ou bien en nous-mêmes, ou bien en un autre être qui existe nécessairement (voir l’Axiome 1 et la Propos. 7). Donc l’être absolument infini, en d’autres termes (par la Déf. 6) Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D.

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