EV - Proposition 36 - scolie
EII - Proposition 40 - scolie 2 ; EII - Proporition 47 - scolie.
EIII - Définitions des affects - 25 ; EIII - Définitions des affects - 30.
Nous connaissons clairement par là en quoi notre salut, c’est-à-dire notre Béatitude ou notre Liberté consiste ; je veux dire dans un Amour constant et éternel envers Dieu, ou dans l’Amour de Dieu envers les hommes. Cet Amour, ou cette Béatitude, est appelé dans les livres sacrés Gloire, non sans raison. Que cet Amour en effet soit rapporté à Dieu ou à l’Âme, il peut justement être appelé Contentement intérieur, et ce Contentement ne se distingue pas de la Gloire (Déf. 25 et 30 des aff.). En tant en effet qu’il se rapporte à Dieu, il est (Prop. 35) une Joie, s’il est permis d’employer encore ce mot, qu’accompagne l’idée de soi-même, et aussi en tant qu’il se rapporte à l’Âme (Prop. 27). De plus, puisque l’essence de notre Âme consiste dans la connaissance seule, dont Dieu est le principe et le fondement (Prop. 15, p. I, et Scolie de la Prop. 47, p. II), nous percevons clairement par là comment et en quelle condition notre Âme suit de la nature divine quant à l’essence et quant à l’existence, et dépend continûment de Dieu. J’ai cru qu’il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple combien vaut la connaissance des choses singulières que j’ai appelée intuitive ou connaissance du troisième genre (Scolie de la Prop. 40, p. II), et combien elle l’emporte sur la connaissance par les notions communes que j’ai dit être celle du deuxième genre. Bien que j’aie montré en général dans la première Partie que toutes choses (et en conséquence l’Âme humaine) dépendent de Dieu quant à l’essence et quant à l’existence, par cette démonstration, bien qu’elle soit légitime et soustraite au risque du doute, notre Âme cependant n’est pas affectée de la même manière que si nous tirons cette conclusion de l’essence même d’une chose quelconque singulière, que nous disons dépendre de Dieu. [*]
Ex his clare intelligimus qua in re nostra salus seu beatitudo seu libertas consistit nempe in constanti et æterno erga Deum amore sive in amore Dei erga homines. Atque hic amor seu beatitudo in sacris codicibus gloria appellatur nec immerito. Nam sive hic amor ad Deum referatur sive ad mentem, recte animi acquiescentia quæ revera a gloria (per 25 et 30 affectuum definitiones) non distinguitur, appellari potest. Nam quatenus ad Deum refertur, est (per propositionem 35 hujus) lætitia, liceat hoc adhuc vocabulo uti, concomitante idea sui ut et quatenus ad mentem refertur (per propositionem 27 hujus). Deinde quia nostræ mentis essentia in sola cognitione consistit cujus principium et fundamentum Deus est (per propositionem 15 partis I et scholium propositionis 47 partis II) hinc perspicuum nobis fit quomodo et qua ratione mens nostra secundum essentiam et existentiam ex natura divina sequatur et continuo a Deo pendeat ; quod hic notare operæ pretium duxi ut hoc exemplo ostenderem quantum rerum singularium cognitio quam intuitivam sive tertii generis appellavi (vide II scholium propositionis 40 partis II) polleat potiorque sit cognitione universali quam secundi generis esse dixi. Nam quamvis in prima parte generaliter ostenderim omnia (et consequenter mentem etiam humanam) a Deo secundum essentiam et existentiam pendere, illa tamen demonstratio tametsi legitima sit et extra dubitationis aleam posita, non ita tamen mentem nostram afficit quam quando id ipsum ex ipsa essentia rei cujuscunque singularis quam a Deo pendere dicimus, concluditur.
[*] (Saisset :) Ceci nous fait clairement comprendre en quoi consistent notre salut, notre béatitude, en d’autres termes notre liberté, savoir, dans un amour constant et éternel pour Dieu, ou si l’on veut, dans l’amour de Dieu pour nous. Les saintes Ecritures donnent à cet amour, à cette béatitude, le nom de gloire, et c’est avec raison. Que l’on rapporte en effet cet amour, soit à Dieu, soit à l’âme, c’est toujours cette paix intérieure qui ne se distingue véritablement pas de la gloire (voyez les Déf. 25 et 30 des passions). Si vous le rapportez à Dieu, cet amour est en lui une joie (qu’on me permette de me servir encore de ce mot) accompagnée de l’idée de lui-même (par la Propos. 35) ; et si vous le rapportez à l’âme, c’est encore la même chose (Par la Propos. 27). De plus, l’essence de notre âme consistant tout entière dans la connaissance, et Dieu étant le principe de notre connaissance et son fondement (par la Propos. 15. part. 1, et le Scol. de la Propos. 47, part. 2), nous devons comprendre très clairement de quelle façon et par quelle raison l’essence et l’existence de notre âme résultent de la nature divine et en dépendent continuellement ; et j’ai pensé qu’il était à propos de faire ici cette remarque, afin de montrer par cet exemple combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Scol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appeler du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.