EII - Proporition 47 - scolie

  • 29 avril 2004

Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont connues de tous. Puisque, d’autre part, tout est en Dieu et se conçoit par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons déduire de cette connaissance un très grand nombre de conséquences que nous connaîtrons adéquatement, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé dans le Scolie 2 de la Proposition 40 et de l’excellence et de l’utilité duquel il y aura lieu de parler dans la cinquième Partie. Que si d’ailleurs les hommes n’ont pas de Dieu une connaissance aussi claire que des notions communes, cela provient de ce qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils imaginent les corps, et ont joint le nom de Dieu aux images des choses qu’ils ont accoutumé de voir, et cela, les hommes ne peuvent guère l’éviter, affectés comme ils le sont continuellement par les corps extérieurs. Et, effectivement, la plupart des erreurs consistent en cela seul que nous n’appliquons pas les noms aux choses correctement. Quand quelqu’un dit que les lignes menées du centre du cercle à la circonférence sont inégales, certes il entend alors par cercle autre chose que ne font les Mathématiciens. De même, quand les hommes commettent une erreur dans un calcul, ils ont dans la pensée d’autres nombres que ceux qu’ils ont sur le papier. C’est pourquoi certes, si l’on a égard à leur Pensée, ils ne commettent point d’erreur ; ils semblent en commettre une cependant, parce que nous croyons qu’ils ont dans la pensée les nombres qui sont sur le papier. S’il n’en était pas ainsi, nous ne croirions pas qu’ils commettent aucune erreur, de même qu’ayant entendu quelqu’un crier naguère que sa maison s’était envolée sur la poule du voisin, je n’ai pas cru qu’il fût dans l’erreur, parce que sa pensée me semblait assez claire. Et de là naissent la plupart des controverses, à savoir de ce que les hommes n’expriment pas correctement leur pensée ou de ce qu’ils interprètent mal la pensée d’autrui. En réalité, tandis qu’ils se contredisent le plus, ils pensent la même chose ou pensent à des choses différentes, de sorte que ce qu’on croit être une erreur ou une obscurité en autrui, n’en est pas une. [*]


Hinc videmus Dei infinitam essentiam ejusque æternitatem omnibus esse notam. Cum autem omnia in Deo sint et per Deum concipiantur, sequitur nos ex cognitione hac plurima posse deducere quæ adæquate cognoscamus atque adeo tertium illud cognitionis genus formare de quo diximus in scholio II propositionis 40 hujus partis et de cujus præstantia et utilitate in quinta parte erit nobis dicendi locus. Quod autem homines non æque claram Dei ac notionum communium habeant cognitionem, inde fit quod Deum imaginari nequeant ut corpora et quod nomen "Deus" junxerunt imaginibus rerum quas videre solent ; quod homines vix vitare possunt quia continuo a corporibus externis afficiuntur. Et profecto plerique errores in hoc solo consistunt quod scilicet nomina rebus non recte applicamus. Cum enim aliquis ait lineas quæ ex centro circuli ad ejusdem circumferentiam ducuntur esse inæquales, ille sane aliud tum saltem per circulum intelligit quam mathematici. Sic cum homines in calculo errant, alios numeros in mente, alios in charta habent. Quare si ipsorum mentem spectes, non errant sane ; videntur tamen errare quia ipsos in mente putamus habere numeros qui in charta sunt. Si hoc non esset, nihil eosdem errare crederemus ; ut non credidi quendam errare quem nuper audivi clamantem suum atrium volasse in gallinam vicini quia scilicet ipsius mens satis perspecta mihi videbatur. Atque hinc pleræque oriuntur controversiæ nempe quia homines mentem suam non recte explicant vel quia alterius mentem male interpretantur. Nam revera dum sibi maxime contradicunt, vel eadem vel diversa cogitant ita ut quos in alio errores et absurda esse putant, non sint.


[*(Saisset :) Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont choses connues de tous les hommes. Or, comme toutes choses sont en Dieu et se conçoivent par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons de cette connaissance en déduire beaucoup d’autres qui sont adéquates de leur nature, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé (dans le Scol. 2 de la Propos. 40), et dont vous aurons à montrer dans la partie cinquième la supériorité et l’utilité. Mais comme tous les hommes n’ont pas une connaissance également claire de Dieu et des émotions communes, il arrive qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu’ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c’est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu’ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs. Du reste, la plupart des erreurs viennent de ce que nous n’appliquons pas convenablement les noms des choses. Si quelqu’un dit, par exemple, que les lignes menées du centre d’un cercle à sa circonférence sont inégales, il est certain qu’il entend autre chose que ce que font les mathématiciens. De même, celui qui se trompe dans un calcul a dans l’esprit d’autres nombres que sur le papier. Si donc vous ne faites attention qu’à ce qui se passe dans son esprit, assurément il ne se trompe pas ; et néanmoins il semble se tromper parce que nous croyons qu’il a dans l’esprit les mêmes nombres qui sont sur le papier. Sans cela nous ne penserions pas qu’il fût dans l’erreur, comme je n’ai pas cru dans l’erreur un homme que j’ai entendu crier tout à l’heure : Ma maison s’est envolée dans la poule de mon voisin ; par la raison que sa pensée véritable me paraissait assez claire. Et de là viennent la plupart des controverses, je veux dire de ce que les hommes n’expliquent pas bien leur pensée et interprètent mal celle d’autrui au plus fort de leurs querelles ; ou bien ils ont les mêmes sentiments, ou, s’ils en ont de différents, les erreurs et les absurdités qu’ils s’imputent les uns aux autres n’existent pas.

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