Lettre 29 - Oldenburg à Spinoza (mi-septembre 1665)

  • 29 juillet 2005


Précédente lettre de Spinoza à Oldenburg : Lettre 26 - Spinoza à Oldenburg.


à Monsieur B. de Spinoza,

Henri Oldenburg.


Monsieur et ami très honoré,

Par votre lettre du 4 septembre, je vois que vous n’avez pas cessé de vous intéresser à nous. Ce n’est pas moi seulement qui vous en ai de l’obligation, mais aussi M. Boyle qui joint ses remerciements aux miens et est prêt à vous rendre à l’occasion, en échange de vos procédés amicaux, tous les services en son pouvoir. Vous ne doutez pas que je ne sois dans les mêmes dispositions. Pour ce qui est de cet individu trop zélé qui, bien qu’une traduction latine du Traité des Couleurs fût déjà prête ici, a voulu néanmoins en confectionner une autre, il comprendra peut-être que, dans son zèle indiscret, il a été mal avisé. Que vaudra sa traduction si l’auteur ajoute à son édition latine publiée en Angleterre un grand nombre d’expériences qui ne se trouvent pas dans l’édition anglaise ? Heureusement notre édition, qui ne tardera pas à se répandre, sera préférée à la sienne. Mais qu’il fasse à son idée, pour nous, nous agirons comme nous le jugerons le plus expédient.

Le Monde souterrain de Kircher n’a pas encore fait son apparition dans notre cercle anglais, à cause de la peste qui arrête presque tout commerce, pour ne rien dire de cette guerre abominable qui amène toute une pléiade de maux et menace de faire disparaître toute civilisation humaine. Notre Société philosophique, dans ces temps calamiteux, ne tient plus de réunions publiques, toutefois quelques-uns de ses membres n’oublient pas qu’ils sont philosophes. Ils poursuivent sans bruit des expériences, les uns sur l’hydrostatique, les autres sur l’anatomie, la mécanique ou d’autres matières. M. Boyle a soumis à l’examen l’origine des formes et des qualités telle qu’elle a été décrite dans l’École et par les maîtres chargés d’y enseigner, et il a composé sur ce sujet un traité qui doit être bientôt imprimé et ne peut manquer d’être remarquable. Pour vous, je vois que vous vous occupez moins de philosophie, si l’on peut dire, que de théologie, puisque vous rédigez vos pensées sur les Anges, la prophétie, les miracles. Mais probablement vous le faites dans un esprit philosophique. Quoi qu’il en soit, je suis certain que l’ouvrage sera digne de vous et j’ai le plus vif désir de le connaître. Comme en ces temps difficiles la liberté des échanges souffre beaucoup de restrictions, je vous demande du moins de vouloir bien indiquer dans votre prochaine lettre le but que vous vous proposez.

Nous attendons chaque jour des nouvelles de la deuxième bataille navale qui doit se livrer, à moins que votre flotte ne soit de nouveau rentrée au port. Le courage dont vous donnez à entendre que l’on discute chez vous a quelque chose non d’humain mais de bestial. Si les hommes étaient conduits par la raison, ils ne se déchireraient pas les uns les autres, comme c’est le cas en ce moment. Mais à quoi bon se plaindre ! Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils auront des vices, mais le règne du mal n’est pas perpétuel et l’intervention des meilleurs peut le contrebalancer.

Tandis que je vous écris, on me remet une lettre à moi adressée par le grand astronome de Dantzig, M. Jean Hévélius : il m’y apprend entre autres choses que sa Description des comètes en douze livres est déjà sous presse depuis une année entière, et que les 400 premières pages, c’est-à-dire neuf livres, en sont déjà imprimées. Il me dit en outre qu’il m’a envoyé quelques exemplaires de son Introduction sur les comètes où il a décrit avec ampleur la première des deux comètes les plus récentes. Toutefois ces exemplaires ne me sont pas encore parvenus. Il a décidé qu’il publierait un autre livre sur la seconde et le soumettrait au jugement des doctes. J’aimerais à savoir ce qu’on pense chez vous des pendules de Huygens et particulièrement de celles que l’on dit donner du temps une mesure si exacte qu’elles pourront servir en mer à calculer la longitude. Où en est la Dioptrique et son Traité du Mouvement ? Nous les attendons depuis longtemps. Je suis bien sûr qu’il ne reste pas oisif, mais je voudrais savoir ce qu’il se propose de faire. Puissiez-vous vous bien porter et continuer à aimer votre tout dévoué

HENRI OLDENBURG.

Londres, mi-septembre 1665.


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