TTP - Pref. - §§7-8 : La thèse du livre : on ne peut supprimer la liberté sans détruire la paix de l’État et la piété.



[7] Mais si le grand secret du régime monarchique et son intérêt majeur est de tromper les hommes et de colorer du nom de religion la crainte qui doit les maîtriser, afin qu’ils combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut, et croient non pas honteux, mais honorable au plus haut point de répandre leur sang et leur vie pour satisfaire la vanité d’un seul homme, on ne peut, en revanche, rien concevoir ni tenter de plus fâcheux dans une libre république, puisqu’il est entièrement contraire à la liberté commune que le libre jugement propre soit asservi aux préjugés ou subisse aucune contrainte. Quant aux séditions excitées sous couleur de religion, elles naissent uniquement de ce que des lois sont établies concernant les objets de spéculation et de ce que les opinions sont tenues pour coupables et condamnées comme si elles étaient des crimes ; leurs défenseurs et partisans sont immolés non au salut de l’État, mais à la haine et à la cruauté de leurs adversaires. Si tel était le droit public que seuls les actes pussent être poursuivis, les paroles n’étant jamais punies, de semblables séditions ne pourraient se parer d’une apparence de droit, et les controverses ne se tourneraient pas en séditions.

[8] Puis donc que ce rare bonheur nous est échu de vivre dans une République, où une entière liberté de juger et d’honorer Dieu selon sa complexion propre est donnée à chacun, et où tous tiennent la liberté pour le plus cher et le plus doux des biens, j’ai cru ne pas entreprendre une œuvre d’ingratitude ou sans utilité, en montrant que non seulement cette liberté peut être accordée sans danger pour la piété et la paix de l’État, mais que même on ne pourrait la supprimer sans détruire la paix de l’État et la piété. Telle est la thèse que mon principal objet a été de démontrer dans ce Traité. Pour y parvenir, il a été nécessaire d’abord d’indiquer les principaux préjugés concernant la religion, c’est-à-dire les restes de notre servitude antique ; puis aussi les préjugés se rapportant au droit des autorités souveraines de l’État. Beaucoup en effet, dans leur licence effrontée, s’efforcent de leur enlever ce droit en grande partie et de détourner d’elles sous couleur de religion le cœur de la multitude encore sujet à la superstition des idolâtres, ce qui nous ferait retomber dans une servitude universelle. Je me propose de dire un peu plus loin en quelques mots dans quel ordre je montrerai cela, mais auparavant j’exposerai les causes qui m’ont poussé à écrire.