TTP - chap.VI - §§21-23 : Conclusion.

  • 10 avril 2006


1. §21 : La démonstration de ce chapitre s’est appuyée sur la lumière naturelle.

[21] Avant cependant de clore ce chapitre, il me reste encore une observation à faire : j’ai suivi en ce qui concerne les miracles une méthode entièrement différente de celle que j’avais adoptée pour la Prophétie. De la Prophétie je n’ai rien affirmé que ce que j’ai pu conclure des principes révélés dans les livres sacrés, dans ce chapitre je me suis appuyé principalement sur les principes connus par la Lumière Naturelle. Je l’ai fait à dessein parce que la Prophétie, par elle-même, dépasse la compréhension humaine et est une question de pure Théologie ; je ne pouvais donc rien affirmer ni savoir à son sujet que par les données fondamentales de la révélation et j’ai été par suite obligé de considérer d’abord la prophétie en historien et de tirer de mon enquête quelques dogmes de nature à me faire connaître, dans la mesure du possible, sa nature et ses propriétés. Dans la question des miracles au contraire, l’objet de notre enquête (à savoir si l’on peut accorder que quelque chose arrive dans la Nature qui contredise à ses lois ou ne puisse s’en déduire) étant purement philosophique, je n’avais besoin de rien de semblable ; j’ai même jugé plus avisé de résoudre cette question à l’aide des fondements connus et autant que possible les mieux connus par la Lumière Naturelle. Je dis que j’ai cru plus avisé ; car je pouvais facilement la résoudre par des dogmes et des données tirés de la seule Écriture et je vais le montrer ici en peu de mots pour que tout le monde le voie.

2. §22 : Reprise de la démonstration par l’autorité de l’Écriture.

[22] L’Écriture affirme, en quelques passages, de la Nature en général qu’elle observe un ordre fixe et immuable, par exemple dans le psaume CXLVIII, verset 6, et dans Jérémie (chap. XXXI, v.35, 36). Le Philosophe en outre dans son Ecclésiaste (chap. I, v. 10) enseigne très clairement qu’il n’arrive rien de nouveau dans la Nature, et aux versets 11, 12 il éclaircit cette sentence en ajoutant qu’à la vérité quelque chose qui semble nouveau arrive parfois, mais que cette nouveauté n’est pas réelle, le même cas s’étant produit dans les siècles antérieurs dont le souvenir est entièrement perdu ; car, ainsi qu’il le dit, nul souvenir des temps anciens ne subsiste aujourd’hui et la postérité n’aura aucun souvenir des hommes de notre temps. Plus loin (chap. III, v. 11), il dit que Dieu a tout réglé diligemment au temps des anciens et, au verset 14, qu’il sait que tout ce que fait Dieu, demeurera dans l’éternité, que rien ne s’y ajoutera et que rien n’en sera retranché. Tout cela fait connaître très clairement que la Nature observe un ordre fixe et immuable, que Dieu a toujours été le même dans tous les siècles connus et inconnus de nous, que les lois de la Nature sont parfaites et fertiles à ce point que rien n’y peut être ajouté ni en être retranché, et qu’enfin les miracles ne semblent quelque chose de nouveau qu’à cause de l’ignorance des hommes. Cela donc, l’Écriture l’enseigne expressément, mais nulle part elle n’enseigne qu’il arrive dans la Nature quelque chose qui contredise à ses lois ou qui ne puisse s’en déduire ; il ne faut donc pas non plus introduire cette fiction dans l’Écriture. Ajoutons que les miracles requièrent (comme nous l’avons déjà montré) des causes et des circonstances et ne sont pas la conséquence de je ne sais quel pouvoir royal attribué fictivement à Dieu par le vulgaire, mais d’un pouvoir et d’un décret divins, c’est-à-dire (comme nous l’avons montré par l’Écriture même) des lois de la Nature et de son ordre, et qu’enfin des miracles peuvent être faits même par des maîtres d’erreur, comme on peut s’en convaincre par le chapitre XIII du Deutéronome et le chapitre XXIV, verset 24, de Matthieu. De là suit avec la plus grande évidence que les miracles étaient des choses naturelles et qu’il faut, par suite, les expliquer de telle sorte qu’ils ne paraissent ni nouveaux (pour parler comme Salomon) ni en contradiction avec la Nature ; il faut, si on le peut, les expliquer comme rejoignant entièrement les choses naturelles. C’est pour que chacun puisse le faire sans scrupule que j’ai donné quelques règles tirées de la seule Écriture.

3. §23 : La liberté de penser à propos des miracles.

[23] Quand je dis toutefois que tel est l’enseignement de l’Écriture, je n’entends pas cependant qu’elle donne cet enseignement comme nécessaire au salut, mais seulement que les Prophètes ont embrassé la même manière de voir que nous. Chacun a donc la liberté d’en juger suivant qu’il le croira le meilleur pour que le culte de Dieu et la religion remplissent son âme entière. Josèphe pense ainsi, car il écrit dans la conclusion du livre II des Antiquités : Que personne ne refuse de croire pour cette raison qu’il s’agit d’un fait miraculeux, qu’à des anciens, exempts de tout vice, une voie de salut s’est ouverte à travers la mer, soit par la volonté divine, soit spontanément, alors que les soldats d’Alexandre, roi de Macédoine, ont vu naguère reculer devant eux la mer de Pamphylie et, à défaut d’autre route, leur offrir elle-même un passage, quand Dieu voulut détruire la puissance des Perses. C’est ce qu’affirment d’un commun accord ceux qui ont raconté les hauts faits d’Alexandre. Aussi bien chacun peut en penser ce qu’il lui plaira. Telles sont les paroles de Josèphe et tel est son jugement sur la foi aux miracles.


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