EII - Proposition 48 - scolie
On démontre de la même manière qu’il n’y a dans l’Âme aucune faculté absolue de connaître, de désirer, d’aimer, etc. D’où suit que ces facultés et autres semblables ou bien sont de pures fictions ou ne sont rien que des êtres Métaphysiques, c’est-à-dire des universaux, comme nous avons coutume d’en former des êtres particuliers. Ainsi l’entendement et la volonté soutiennent avec telle et telle idée, ou telle et telle volition, le même rapport que la pierréité avec telle ou telle pierre, et l’homme avec Pierre et Paul. Quant à la cause pour quoi les hommes croient qu’ils sont libres, nous l’avons expliquée dans l’Appendice de la première Partie. Mais, avant de poursuivre, il convient de noter ici que j’entends par volonté la faculté d’affirmer et de nier, non le désir ; j’entends, dis-je, la faculté par où l’Âme affirme ou nie quelle chose est vraie ou fausse, mais non le désir par où l’Âme appète les choses ou les a en aversion. Et, après avoir démontré que ces facultés sont des notions générales, qui ne se distinguent pas des choses singulières desquelles nous les formons, il y a lieu de rechercher si les volitions elles-mêmes sont quelque chose en dehors des idées mêmes des choses. Il y a lieu, dis-je, de rechercher s’il est donné dans l’Âme une autre affirmation ou une autre négation que celle qu’enveloppe l’idée, en tant qu’elle est idée ; et à ce sujet l’on verra la Proposition suivante, et aussi la Définition 3, partie II, pour éviter qu’on ne pense à des peintures. Car je n’entends point par idées des images comme celles qui se forment au fond de l’œil ou, si l’on veut, au milieu du cerveau, mais des conceptions de la Pensée. [*]
Eodem hoc modo demonstratur in mente nullam dari facultatem absolutam intelligendi, cupiendi, amandi etc. Unde sequitur has et similes facultates vel prorsus fictitias vel nihil esse præter entia metaphysica vel universalia quæ ex particularibus formare solemus. Adeo ut intellectus et voluntas ad hanc et illam ideam vel ad hanc et illam volitionem eodem modo sese habeant ac lapideitas ad hunc et illum lapidem vel ut homo ad Petrum et Paulum. Causam autem cur homines se liberos esse putent explicuimus in appendice partis primæ. Verum antequam ulterius pergam, venit hic notandum me per voluntatem affirmandi et negandi facultatem, non autem cupiditatem intelligere ; facultatem inquam intelligo qua mens quid verum quidve falsum sit, affirmat vel negat et non cupiditatem qua mens res appetit vel aversatur. At postquam demonstravimus has facultates notiones esse universales quæ a singularibus ex quibus easdem formamus, non distinguuntur, inquirendum jam est an ipsæ volitiones aliquid sint præter ipsas rerum ideas. Inquirendum inquam est an in mente alia affirmatio et negatio detur præter illam quam idea quatenus idea est, involvit, qua de re vide sequentem propositionem ut et demonstrationem 3 hujus ne cogitatio in picturas incidat. Non enim per ideas imagines quales in fundo oculi et si placet, in medio cerebro formantur sed cogitationis conceptus intelligo.
[*] (Saisset :) On démontrerait de la même manière qu’il n’y a dans l’âme humaine aucune faculté absolue de comprendre, de désirer, d’aimer, etc. D’où il suit que ces facultés et toutes celles du même genre, ou bien, sont purement fictives, ou ne représentent autre chose que des êtres métaphysiques ou universels que nous avons l’habitude de former à l’aide des choses particulières. Ainsi donc, l’entendement et la volonté ont avec telle ou telle idée, telle ou telle volition, le même rapport que la pierréité avec telle ou telle pierre, l’homme avec Pierre ou Paul. Maintenant, pourquoi les hommes sont-ils jaloux d’être libres ? c’est ce que nous avons expliqué dans l’Appendice de la première partie. Mais, avant d’aller plus loin, il faut noter ici que par volonté j’entends la faculté d’affirmer ou de nier, et non le désir ; j’entends, dis-je, la faculté par laquelle l’âme affirme ou nie ce qui est vrai ou ce qui est faux, et non celle de ressentir le désir ou l’aversion. Or comme nous avons démontré que ces facultés sont des notions universelles qui ne se distinguent pas des actes particuliers à l’aide desquels nous les formons, la question est maintenant de savoir si les volitions elles-mêmes ont quelque réalité indépendante des idées que nous avons des choses. La question, dis-je, est de savoir s’il y a dans l’âme une autre affirmation ou une autre négation au delà de celle que l’idée enveloppe en tant qu’idée ; et sur ce point, voyez la Propos. suivante ainsi que la Déf. 3, afin de ne pas prendre la pensée pour une sorte de peinture des choses. Car je n’entends point par idée les images qui se forment dans le fond de l’œil ou, si l’on veut, au centre du cerveau, mais les concepts de la pensée.