TTP - Chap. XIV - §§12-14 : Séparation de la philosophie et de la théologie.
[12] Avant de poursuivre maintenant, il convient de noter qu’il nous est, par ce qui vient d’être montré, facile de répondre aux objections élevées au chapitre I au sujet des paroles adressées par Dieu aux Israélites du haut du Sinaï : sans doute cette voix qu’ils entendirent ne pouvait donner à ces hommes aucune certitude philosophique, c’est-à-dire mathématique, de l’existence de Dieu ; elle suffisait cependant pour les ravir en admiration devant Dieu, tel qu’ils le connaissaient avant, et les déterminer à l’obéissance ; ce qui était la fin de cette manifestation. Dieu ne voulait pas faire connaître aux Israélites les attributs absolus de son essence (il n’en révéla aucun à ce moment), il voulait briser leur âme insoumise et la contraindre à l’obéissance ; c’est pourquoi il ne se manifesta pas à eux par des raisons, mais par des éclats de trompette, le tonnerre et les éclairs (voir Exode, chap. XX, v. 20).
[13] Il reste à montrer enfin qu’entre la Foi ou la Théologie et la Philosophie il n’y a nul commerce, nulle parenté ; nul ne peut l’ignorer qui connaît le but et le fondement de ces deux disciplines, lesquels sont entièrement différents. Le but de la Philosophie est uniquement la vérité ; celui de la Foi, comme nous l’avons abondamment montré, uniquement l’obéissance et la piété. En second lieu, les fondements de la Philosophie sont les notions communes et doivent être tirés de la Nature seule ; ceux de la Foi sont l’histoire et la philologie et doivent être tirés de l’Écriture seule et de la révélation, comme nous l’avons montré au chapitre VII. La Foi donc reconnaît à chacun une souveraine liberté de philosopher ; de telle sorte qu’il peut sans crime penser ce qu’il veut de toutes choses ; elle condamne seulement comme hérétiques et schismatiques ceux qui enseignent des opinions propres à répandre parmi les hommes l’insoumission, la haine, l’esprit combatif et la colère ; elle tient pour fidèles, au contraire, ceux-là seulement qui, dans la mesure où leur Raison a force et comme le leur permettent leurs facultés, répandent la Justice et la Charité. Enfin, s’agissant ici de l’objet principal de ce traité, je veux, avant de poursuivre, inviter très instamment le lecteur à lire avec une attention particulière ces deux chapitres et à les juger dignes d’un examen réitéré. Qu’il veuille bien aussi se persuader que nous n’avons pas écrit avec le désir de présenter des nouveautés, mais pour redresser des jugements erronés que nous avons cependant l’espoir de voir corrigés quelque jour.