EII - Proposition 3 - scolie

  • 6 avril 2004

Le vulgaire entend par puissance de Dieu une volonté libre et un droit s’étendant à tout ce qui est, et pour cette raison toutes choses sont communément considérées comme contingentes. Dieu, dit-on en effet, a le pouvoir de tout détruire et tout anéantir. On compare, en outre, très souvent la puissance de Dieu à celle des Rois. Mais nous avons réfuté cela dans les Corollaires 1 et 2 de la Proposition 32, partie 1, et, dans la Proposition 16, partie I, nous avons montré que Dieu agit par la même nécessité par laquelle il forme une idée de lui-même ; c’est-à-dire, de même qu’il suit de la nécessité de la nature divine (comme tous l’admettent d’une commune voix) que Dieu forme une idée de lui-même, il suit aussi avec la même nécessité que Dieu produise une infinité d’actions en une infinité de modes. En outre, nous avons montré, Proposition 34 de la partie I, que la puissance de Dieu n’est rien d’autre que l’essence active de Dieu ; il nous est donc aussi impossible de concevoir Dieu comme n’agissant pas que comme n’étant pas. De plus, s’il me plaisait de poursuivre, je pourrais aussi montrer ici que cette puissance que le vulgaire attribue à Dieu par fiction, non seulement est celle d’un homme (ce qui fait voir que le vulgaire conçoit Dieu comme un homme ou pareil à un homme), mais enveloppe aussi l’impuissance. Je ne veux pas toutefois reprendre si souvent le même discours. Je me contente de prier avec instance le lecteur d’examiner à plusieurs reprises ce qui est dit dans la première partie sur ce sujet depuis la Proposition 16 jusqu’à la fin. Nul en effet ne pourra percevoir correctement ce que je veux dire, s’il ne prend garde à ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance humaine ou le droit des Rois. [*]


SCHOLIUM :

Vulgus per Dei potentiam intelligit Dei liberam voluntatem et jus in omnia quæ sunt quæque propterea communiter ut contingentia considerantur. Deum enim potestatem omnia destruendi habere dicunt et in nihilum redigendi. Dei porro potentiam cum potentia regum sæpissime comparant. Sed hoc in corollario I et II propositionis 32 partis I refutavimus et propositione 16 partis I ostendimus Deum eadem necessitate agere qua seipsum intelligit hoc est sicuti ex necessitate divinæ naturæ sequitur (sicut omnes uno ore statuunt) ut Deus seipsum intelligat, eadem etiam necessitate sequitur ut Deus infinita infinitis modis agat. Deinde propositione 34 partis I ostendimus Dei potentiam nihil esse præterquam Dei actuosam essentiam adeoque tam nobis impossibile est concipere Deum non agere quam Deum non esse. Porro si hæc ulterius persequi liberet, possem hic etiam ostendere potentiam illam quam vulgus Deo affingit, non tantum humanam esse (quod ostendit Deum hominem vel instar hominis a vulgo concipi) sed etiam impotentiam involvere. Sed nolo de eadem re toties sermonem instituere. Lectorem solummodo iterum atque iterum rogo ut quæ in prima parte ex propositione 16 usque ad finem de hac re dicta sunt, semel atque iterum perpendat. Nam nemo ea quæ volo percipere recte poterit nisi magnopere caveat ne Dei potentiam cum humana regum potentia vel jure confundat.


[*(Saisset) : Par la puissance de Dieu, le vulgaire entend sa libre volonté et le droit qu’il possède sur toutes choses, lesquelles sont considérées communément à cause de cela comme contingentes. On dit, en effet, que Dieu a le pouvoir de tout détruire, de tout anéantir ; et l’on compare aussi très-souvent la puissance de Dieu avec celle des rois. Mais nous avons réfuté tout cela dans les Coroll. 1 et 2 de la proposition 32, partie 1, et nous avons montré dans la proposition 16, partie 1, que Dieu agit tout aussi nécessairement qu’il se comprend lui-même ; en d’autres termes, de même qu’il résulte de la nécessité de la nature divine (comme on le reconnaît unanimement) que Dieu se comprend lui-même, il résulte de cette même nécessité que Dieu doit faire une infinité de choses infiniment modifiées. De plus, nous avons montré, dans la proposition 34, partie 1, que la puissance de Dieu n’est autre chose que son essence prise comme active, et partant, qu’il nous est tout aussi impossible de concevoir Dieu n’agissant pas, que Dieu n’existant pas. Si même je voulais pousser plus loin ces pensées, je montrerais que cette puissance que le vulgaire imagine en Dieu, non-seulement est une puissance tout humaine (ce qui fait voir que le vulgaire conçoit Dieu comme un homme ou à l’image d’un homme), mais même enveloppe une réelle impuissance. Mais je ne veux point revenir si souvent sur la même chose. Je me borne à prier instamment le lecteur de peser, avec un redoublement d’attention, ce qui a été dit sur cette matière dans la première partie, depuis la proposition 16 jusqu’à la fin. Car personne ne pourra bien comprendre ce que je veux établir, s’il ne prend le plus grand soin de ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance et le droit des rois.

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