Traité politique, II, §21

  • 15 décembre 2004


Toutefois comme la raison enseigne à pratiquer la moralité [1], à vivre dans la tranquillité et la paix intérieure, ce qui n’est possible que s’il y a un pouvoir public, comme en outre il ne peut se faire que la multitude soit conduite comme par une seule pensée, ainsi qu’il est requis dans l’État, s’il n’existe pas des lois établies conformément aux prescriptions de la raison, on n’use pas d’un langage tellement impropre en appelant péché ce qui est contraire à l’injonction de la raison, puisque les lois de l’État le mieux réglé (voir le § 18 de ce chapitre) doivent être établies conformément à la raison. Comme j’ai dit (§ 18 de ce chapitre) que l’homme à l’état de nature, s’il pèche, pèche contre lui-même, l’on verra au chapitre IV (§§ 4 et 5), en quel sens on peut dire que celui qui possède le pouvoir public et dispose d’un droit de nature, peut, suivant le droit de nature, être tenu par les lois et pécher.


Traduction Saisset :

Toutefois comme la raison nous enseigne à pratiquer la piété et à vivre d’un esprit tranquille et bon, ce qui n’est possible que dans la condition sociale, et en outre, comme il ne peut se faire qu’un grand nombre d’hommes soit gouverné comme par une seule âme (ainsi que cela est requis pour constituer un État), s’il n’a un ensemble de lois instituées d’après les prescriptions de la raison, ce n’est donc pas tout à fait improprement que les hommes, accoutumés qu’ils sont à vivre en société, ont appelé péché ce qui se fait contre le commandement de la raison, étant donné que les lois de l’Etat le meilleur (article 18 de ce chapitre) doivent être établies selon le commandement de la raison. Maintenant pourquoi ai-je dit (à l’article 18 de ce chapitre) que, dans l’état de nature, l’homme, s’il pèche, ne pèche que contre soi-même, c’est ce qui sera éclairci bientôt (au chapitre IV, articles 4 et 5), quand je montrerai dans quel sens nous pouvons dire que celui qui gouverne l’État et tient en ses mains le droit naturel est soumis aux lois et peut pécher.


Verumenimvero, quia ratio pietatem exercere et animo tranquillo et bono esse docet, quod non nisi in imperio fieri potest, et praeterea quia fieri nequit, ut multitudo una veluti mente ducatur, sicut in imperio requiritur, nisi iura habeat, quae ex rationis praescripto instituta sint ; non ergo adeo improprie homines, qui in imperio vivere consueverunt, id peccatum vocant, quod contra rationis dictamen fit, quandoquidem optimi imperii iura (vide art. 18. huius cap.) ex rationis dictamine institui debent. Cur autem dixerim (art. 18. huius cap.) hominem in statu naturali sibi peccare, si quid peccat, de hoc vide cap. 4. art. 4. et 5., ubi ostenditur, quo sensu dicere possumus, eum, qui imperium tenet et iure naturae potitur, legibus adstrictum esse et peccare posse.

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