TRE - 58



Passons maintenant aux fictions ayant trait aux essences seules ou jointes à quelque actualité ou existence. Il faut à ce sujet considérer surtout que, moins l’esprit connaît et plus il perçoit, plus il est capable de fiction ; et plus il a de connaissances claires, plus ce pouvoir diminue. De même que, par exemple, comme nous l’avons vu plus haut, nous ne pouvons, aussi longtemps que nous pensons, forger l’idée que nous pensons et que nous ne pensons pas, de même, quand nous connaissons la nature du corps, nous ne pouvons forger l’idée d’une mouche infinie ou encore, quand nous connaissons la nature de l’âme [1], nous ne pouvons forger l’idée d’une âme carrée, bien que nous puissions exprimer en paroles n’importe quoi. Mais, comme nous l’avons dit, moins les hommes connaissent la Nature, plus facilement ils peuvent forger de nombreuses fictions ; telles que des arbres qui parlent, des hommes changés subitement en pierres, en sources, des fantômes apparaissant dans des miroirs, rien devenant quelque chose, même des Dieux changés en bêtes et en hommes et une infinité d’autres semblables.


Transeamus iam ad fictiones, quae versantur circa essentias solas, vel cum aliqua actualitate sive existentia simul. Circa quas hoc maxime venit considerandum, quod, quo mens minus intelligit, et tamen plura percipit, eo maiorem habeat potentiam fingendi, et quo plura intelligit, eo magis illa potentia diminuatur. Eodem ex. gr. modo, quo supra vidimus, nos non posse fingere, quamdiu cogitamus, nos cogitare et non cogitare, sic etiam, postquam novimus naturam corporis, non possumus fingere muscam infinitam ; sive postquam novimus naturam animae [2], non possumus fingere eam esse quadratam, quamvis omnia verbis possimus effari. Sed, uti diximus, quo minus homines norunt naturam, eo facilius multa possunt fingere ; veluti, arbores loqui, homines in momento mutari in lapides, in fontes, apparere in speculis spectra, nihil fieri aliquid, etiam deos in bestias et homines mutari, ac infinita eius generis alia.


[1Il arrive souvent qu’un homme rappelle à son souvenir ce mot âme et forme en même temps quelque image corporelle. Comme ces deux choses se représentent simultanément, il croit facilement qu’il imagine et forge une âme corporelle, car il ne distingue pas le mot de la chose elle-même. Je demande ici que les lecteurs ne soient pas empressés à rejeter ce que je dis, et j’espère qu’ils ne le feront pas, pourvu qu’ils considèrent les exemples et aussi ce qui va suivre avec grande attention.

[2Saepe contingit, hominem hanc vocem a n i m a ad suam memoriam revocare, et simul aliquam corpoream imaginem formare. Cum vero haec duo simul repraesentantur, facile putat se imaginari et fingere animam corpoream ; quia nomen a re ipsa non distinguit. Hic postulo, ut lectores non sint praecipites ad hoc refutandum, quod, ut spero, non facient, modo ad exempla quam accurate attendant, et simul ad ea, quae sequuntur. Sp.