TTP - Chap. XVII - §§7-10 : L’État des Hébreux : son institution après la sortie d’Égypte.

  • 7 mai 2006


[7] Nous avons dit plus haut, au chapitre V [1], qu’après leur sortie d’Égypte les Hébreux n’étaient plus tenus par le droit d’aucune autre nation et qu’il leur était loisible d’instituer de nouvelles règles et d’occuper les terres qu’ils voudraient. Libérés, en effet, de l’oppression insupportable des Égyptiens, ils n’étaient plus liés à aucun mortel par aucun pacte et avaient retrouvé leur droit naturel sur tout ce qui était en leur pouvoir ; chacun pouvait à nouveau examiner s’il voulait conserver ce droit ou le transférer à un autre. Revenus ainsi à l’état naturel, sur le conseil de Moïse en qui ils avaient la plus grande confiance, ils décidèrent de ne transférer leur droit à aucun mortel, mais seulement à Dieu ; sans temporiser, tous, d’une clameur commune, promirent à Dieu d’obéir absolument à tous ses commandements, de ne reconnaître d’autre droit que celui qu’il établirait lui-même par une révélation prophétique. Cette promesse, c’est-à-dire ce transfert de droit à Dieu, se fit de la même manière que nous avons conçu ci-dessus qu’il se fait dans une société commune, quand les hommes décident de se dessaisir de leur droit naturel. Par un pacte exprès, en effet (voir Exode, chap. XXIV, v. 7) et par un serment, librement, sans céder ni à la coaction de la force ni à l’effroi des menaces, ils renoncèrent à leur droit naturel et le transférèrent à Dieu. En second lieu pour que le pacte fût garanti, solide et sans soupçon de tromperie, Dieu ne conclut rien avec eux qu’après qu’ils eurent éprouvé sa puissance admirable par laquelle seule ils avaient été conservés et pouvaient l’être par la suite (Exode, chap. XIX, vs. 4, 5). Par cela même, en effet, qu’ils crurent ne pouvoir être conservés que par la puissance de Dieu, ils transférèrent a Dieu toute la puissance naturelle de se conserver, qu’ils pouvaient croire auparavant avoir d’eux-mêmes et conséquemment aussi tout leur droit.

[8] Le pouvoir de commandement chez les Hébreux appartint donc à Dieu seul ; seul aussi l’État ainsi constitué portait à bon droit par la vertu du pacte le nom de Royaume de Dieu, et Dieu était dit à bon droit le Roi des Hébreux. En conséquence les ennemis de cet État étaient les ennemis de Dieu, les citoyens voulant usurper le pouvoir, coupables du crime de lèse-Majesté Divine, enfin les règles de droit en vigueur, lois et commandements de Dieu. Dans cet État donc le droit civil et la Religion qui, nous l’avons montré, ne consiste que dans l’obéissance à Dieu, étaient une seule et même chose. Autrement dit les dogmes de la Religion n’étaient pas des enseignements, mais des règles de droit et des commandements, la piété passait pour justice, l’impiété pour un crime et une injustice. Qui manquait à la Religion, cessait d’être citoyen, et, par cela seul, était tenu pour un ennemi ; qui mourait pour la Religion était réputé mourir pour la Patrie ; entre le droit civil et la Religion on ne faisait absolument aucune distinction. Pour cette cause cet État a pu être appelé une Théocratie : parce que les citoyens n’étaient tenus par aucun droit, sinon celui que Dieu avait révélé. Il faut le dire cependant, tout cela avait plutôt la valeur d’une opinion que d’une réalité, car en fait les Hébreux conservèrent absolument comme nous allons le montrer le droit de se gouverner ; cela ressort des moyens employés et des règles suivies dans l’administration de l’État, règles que je me propose d’expliquer ici.

[9] Puisque les Hébreux ne transférèrent leur droit à personne d’autre, que tous également, comme dans une démocratie, s’en dessaisirent et crièrent d’une seule voix tout ce que Dieu aura dit (sans qu’aucun médiateur fût prévu), nous le ferons, tous en vertu de ce pacte restèrent entièrement égaux ; le droit de consulter Dieu, celui de recevoir et d’interpréter ses lois, appartint également à tous, et d’une manière générale tous furent également chargés de l’administration de l’État. Pour cette cause donc, à l’origine, tous allèrent vers Dieu pour entendre ses commandements ; mais, à l’occasion de ce premier hommage, ils eurent un tel effroi et entendirent la parole de Dieu avec un étonnement tel qu’ils crurent leur heure suprême venue. Pleins de crainte donc ils s’adressent de nouveau à Moïse : Voilà, nous avons entendu Dieu parlant dans le feu et il n’y a pas de raison pour que nous voulions mourir ; ce grand feu, certes, nous dévorera, si une fois encore nous devons entendre la voix de Dieu, nous mourrons certainement. Toi donc va et écoute toutes les paroles de notre Dieu et tu nous les rapporteras (toi, non pas Dieu). A toute parole que Dieu te dira nous obéirons et nous l’exécuterons. Par ce langage ils ont clairement aboli le premier pacte et transféré sans réserve à Moïse leur droit de consulter Dieu et d’interpréter ses édits. Ils ont promis, en effet, non plus comme avant d’obéir à toutes les paroles que Dieu leur dirait à eux-mêmes, mais à toutes celles qu’il dirait à Moïse (voir Deutér., chap. V, après le Décalogue, et chap. XVIII, vs. 15, 16). Moïse donc demeura seul le porteur des lois divines et leur interprète, conséquemment aussi le Juge suprême que nul ne pouvait juger et qui seul tint chez les Hébreux la place de Dieu, c’est-à-dire eut la majesté suprême, puisque seul il avait le droit de consulter Dieu, de donner au peuple les réponses de Dieu, et de le contraindre à exécuter ses commandements. Je dis qu’il l’avait seul, car si quelque autre, du vivant de Moïse, voulait prêcher quelque chose au nom de Dieu, il avait beau être un vrai Prophète, il était cependant coupable et usurpateur du droit suprême (voir Nombres, chap. XI, v. 28 [2]).


[10] Et il faut noter ici que, bien qu’ayant élu Moïse, le peuple n’a cependant pas eu le droit d’élire le successeur de Moïse. Dès que les Hébreux, en effet, eurent transféré à Moïse le droit de consulter Dieu et eurent promis sans réserve de le prendre pour oracle divin, ils perdirent tout droit et devaient admettre celui que Moïse élirait pour lui succéder, comme élu par Dieu. Que s’il avait élu un successeur qui eût pris pour lui toute l’administration de l’État, c’est-à-dire le droit d’être seul à consulter Dieu dans sa tente et, en conséquence, l’autorité d’instituer des lois et de les abroger, de décider de la guerre et de la paix, d’envoyer des ambassadeurs, de constituer des juges, d’élire un successeur, et, en général, de remplir toutes les fonctions du souverain, le pouvoir eût été purement Monarchique, à cette seule différence près qu’un État monarchique est communément gouverné suivant un décret de Dieu caché au Monarque lui-même, tandis que celui des Hébreux l’eût été ou eût dû l’être, en une certaine manière, par un décret de Dieu révélé au seul Monarque. Cette différence ne diminue pas, mais augmente la domination du Monarque et son droit sur tous. Pour ce qui est du peuple de l’un et de l’autre États, il est dans la même soumission, et également ignorant du décret divin ; car dans l’un et dans l’autre il est suspendu à la parole du Monarque et connaît de lui seul ce qui est légitime ou illégitime, et ce n’est pas parce que le peuple croit que le Monarque ne lui commande rien que par le décret de Dieu, qu’il lui est moins soumis ; au contraire, il l’est, en réalité, davantage. Mais Moïse n’élut pas un successeur de cette sorte, il laissa à ses successeurs un État à administrer de telle façon qu’on ne pût l’appeler ni Populaire, ni Aristocratique, ni Monarchique, mais Théocratique. Le droit d’interpréter les lois, en effet, et de communiquer les réponses de Dieu fut au pouvoir de l’un, le droit et le pouvoir d’administrer l’État suivant les lois déjà expliquées et les réponses déjà communiquées, au pouvoir d’un autre. Sur ce point, voir Nombres (chap. XXVII, v. 21 [3]). Pour faire mieux entendre cela, je vais exposer méthodiquement l’administration de tout l’État.



[1Cf. chap. 5, §5 (note jld).

[2Voir note XXXVI .

[3Voir note XXXVII .

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