Traité politique, III, §17

  • 30 décembre 2004


La foi que la saine raison et la religion prescrivent d’observer, n’est d’ailleurs nullement en question ici, car ni la raison ni l’Écriture n’ordonnent que l’on observe tout engagement pris. Si j’ai promis à quelqu’un par exemple de garder l’argent qu’il m’a confié secrètement, je ne suis pas tenu de demeurer fidèle à mon engagement si je sais, ou crois savoir, que le dépôt qu’il m’a confié était le produit d’un vol. J’agirai plus droitement en faisant en sorte que ce dépôt revienne au propriétaire légitime. De même si un souverain a promis de faire pour un autre quoi que ce soit, et qu’ensuite les circonstances ou la raison semblent montrer que cela est nuisible au salut commun des sujets, il est obligé de rompre l’engagement qu’il a pris. Puisque l’Écriture ne prescrit qu’en général d’observer la foi promise et laisse au jugement de chacun les cas particuliers à excepter, elle ne prescrit donc rien qui soit contraire aux prescriptions énoncées ci-dessus.


Traduction Saisset :

Au surplus, nous ne prétendons nullement anéantir la bonne foi, cette vertu qui nous est également enseignée par la raison et par la sainte Écriture. Ni la raison, en effet, ni l’Écriture ne nous enseignent à garder toute espèce de promesse. Par exemple, si j’ai promis à quelqu’un de lui garder une somme d’argent, je suis dégagé de ma promesse du moment que j’apprends ou que je crois savoir que cet argent est le produit d’un vol ; j’agirai beaucoup mieux en m’occupant de le restituer au légitime propriétaire. De même, quand un souverain s’est engagé à l’égard d’un autre, si plus tard le temps ou la raison lui font voir que son engagement est contraire au salut commun de ses sujets, il ne doit point l’observer. L’Écriture ne prescrivant donc que d’une manière générale de garder sa parole et laissant au jugement de chacun les cas particuliers qui doivent être exceptés, il s’ensuit qu’il n’y a rien dans l’Écriture de contraire à ce que nous avons établi ci-dessus.


Ceterum fides, quam sana ratio et religio servandam docet, hic minime tollitur ; nam nec ratio, nec scriptura omnem datam fidem servare docet. Cui enim pollicitus sum, argentum ex. gr., quod mihi secreto servandum dedit, custodire, fidem praestare non teneor, simulac noverim aut scire crediderim, furtum esse, quod mihi servandum dedit ; sed rectius agam, si dem operam, ut suis restituatur. Sic etiam si summa potestas aliquid alteri se facturam promisit, quod postea tempus seu ratio docuit aut docere videbatur, communi subditorum saluti obesse, fidem sane solvere tenetur. Cum itaque scriptura non nisi in genere doceat fidem servare et casus singulares, qui excipiendi sunt, uniuscuiusque iudicio relinquat, nihil ergo docet, quod iis, quae modo ostendimus, repugnat.

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