Lettre 46 - Spinoza à Leibniz (9 novembre 1671)

  • 1er août 2005


à Monsieur Godefroy Leibniz,
Docteur en droit et conseiller à Mayence.
B. de Spinoza.

Monsieur,

J’ai lu la dissertation que vous avez bien voulu m’envoyer et je vous suis bien reconnaissant de cette communication. Je regrette de n’avoir pu, autant que je l’aurais voulu, comprendre votre pensée que vous avez cependant exposée assez clairement, je crois. Je vous prie donc de vouloir me répondre en quelques mots sur le point que voici : y a-t-il, selon vous, pour limiter l’ouverture des lentilles une raison autre que celle qui se tire de ce fait que les rayons issus d’un même point ne convergent pas rigoureusement en un point, mais dans un petit espace que nous avons accoutumé d’appeler « point mécanique » et dont la grandeur varie en proportion de l’ouverture ? Je vous demanderai aussi si les lentilles que vous appelez pandoches corrigent ce défaut, c’est-à-dire si le point mécanique, ce petit espace où se réunissent après la réfraction les rayons issus d’un même point, garde une grandeur constante quelle que soit l’ouverture. Si en effet elles possèdent cette propriété, on pourra augmenter à volonté l’ouverture et conséquemment cette forme de lentille l’emportera de beaucoup sur toutes celles que je connais. Autrement je ne vois pas pourquoi vous recommandez tant de les préférer aux lentilles ordinaires. Les lentilles circulaires ont en effet toujours le même axe et, quand nous les employons, tous les points de l’objet doivent être considérés comme placés sur un axe optique et, bien que tous ne soient pas à la même distance, la différence qui résulte de cette inégalité ne peut être sensible quand il s’agit d’objets très éloignés, parce qu’alors les rayons issus d’un même point sont considérés comme parallèles au moment de leur incidence. Quand cependant nous voulons comprendre un grand nombre d’objets dans un même champ (c’est ce qui arrive quand nous employons de très grandes lentilles oculaires), je crois que vos lentilles peuvent nous être très utiles pour avoir de tous les objets une image plus distincte. Mais j’aime mieux suspendre mon jugement sur tous ces points jusqu’à ce que vous m’ayez plus clairement expliqué votre pensée, ainsi que je vous prie instamment de le faire. J’ai envoyé, comme vous le vouliez, le second exemplaire de votre démonstration à M. Hudde ; il m’a répondu qu’en ce moment le temps lui manquait pour l’examiner. Il espère toutefois pouvoir le faire dans une semaine ou deux.

Je n’ai pas encore le livre de François Lana, non plus que les Pensées physico-mécaniques de Jean Holtius et, ce que je regrette surtout, je n’ai pas encore pu lire votre hypothèse physique, car du moins à La Haye ce mémoire n’est pas en vente. Je vous serai donc très reconnaissant de me l’envoyer et, si en quelque autre matière je puis vous servir, je me montrerai, Monsieur, votre tout dévoué

B. DE SPINOZA.
La Haye, le 9 novembre 1671.

Monsieur Diemerbroeck n’habite pas ici. Je suis obligé de remettre cette lettre au courrier ordinaire. Je ne doute pas que vous ne connaissiez à La Haye quelqu’un qui se charge de faire parvenir nos lettres et je serai heureux de le connaître aussi, de façon que notre correspondance soit mieux assurée. En cas que le Traité théologico-politique ne soit pas encore en votre possession, je vous l’enverrai si cela peut vous être agréable. Adieu.


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