Traité politique, V, §04

  • 21 février 2005


Si dans une Cité les sujets ne prennent pas les armes parce qu’ils sont sous l’empire de la terreur, on doit dire, non que la paix y règne, mais plutôt que la guerre n’y règne pas [1]. Car la paix, ce n’est pas l’absence de guerre ; c’est la vertu qui naît de la vigueur de l’âme [2]. La paix, en effet, n’est pas la simple absence de guerre, elle est une vertu qui a son origine dans la force d’âme, car l’obéissance (par le § 19 du chapitre II) est une volonté constante de faire ce qui suivant le droit commun de la Cité doit être fait. Une Cité, faut-il dire encore, où la paix est un effet de l’inertie des sujets conduits comme un troupeau, et formés uniquement à la servitude, mérite le nom de solitude plutôt que celui de Cité [3].


Traduction Saisset :

Un État où les sujets ne prennent pas les armes par ce seul motif que la crainte les paralyse, tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’il n’a pas la guerre, mais non pas qu’il ait la paix, et la véritable obéissance (par l’article 19 du chapitre II) est une volonté constante d’exécuter tout ce qui doit être fait d’après la loi commune de l’État. Aussi bien une société où la paix n’a d’autre base que l’inertie des sujets, lesquels se laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage, ce n’est plus une société, c’est une solitude.


Civitas, cuius subditi metu territi arma non capiunt, potius dicenda est, quod sine bello sit, quam quod pacem habeat. Pax enim non belli privatio, sed virtus est, quae ex animi fortitudine oritur ; est namque obsequium (per art. 19. cap. 2.) constans voluntas id exsequendi, quod ex communi civitatis decreto fieri debet. Illa praeterea civitas, cuius pax a subditorum inertia pendet, qui scilicet veluti pecora ducuntur, ut tantum servire discant, rectius solitudo, quam civitas dici potest.


[3Voyez Tacite, Agricola, 30.

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