Traité politique, X, §06

  • 17 mai 2005


Ma conclusion donc est que ces vices inhérents à l’état de paix dont nous parlons ici, ne doivent pas être combattus directement mais indirectement, en posant des principes fondamentaux tels que le plus grand nombre s’efforce non de vivre sagement (cela est impossible) mais se laisse diriger par les affections dont l’État tire le plus de bénéfice. Il faut tendre surtout à ce que les riches soient sinon économes, du moins désireux d’augmenter leur richesse. Car il n’est pas douteux que si cette avidité qui est une passion universelle et constante, est alimentée par le désir de la gloire, la plupart s’appliqueront avec le plus grand zèle à augmenter, sans user de moyens déshonorants, l’avoir par où ils peuvent prétendre à la considération et éviter la honte.


Traduction Saisset :

Je conclus donc à ce que tous ces vices, communs aux époques de paix dont nous venons de parler, soient réprimés, non pas directement, mais par des voies détournées, c’est-à-dire par l’établissement de principes de gouvernement tels, que la plupart des citoyens, s’ils ne s’appliquent pas à vivre selon les règles de la sagesse (ce qui est impossible), se laissent du moins conduire par les passions qui peuvent être le plus utiles à la république. Ainsi on peut s’ingénier à inspirer aux riches, sinon l’économie, au moins un certain amour de l’argent. Car il n’est pas douteux que si l’amour de l’argent, ce sentiment universel et perpétuel, est excité par un désir de gloire, la plupart des citoyens ne s’étudient à augmenter honorablement leur fortune, afin d’échapper à une situation honteuse et d’arriver aux honneurs. Et si nous revenons maintenant aux conditions fondamentales des deux gouvernements aristocratiques que nous avons décrits aux deux chapitre précédents, on verra que ces principes y sont contenus. Car dans chacun d’eux le nombre des gouvernants est assez considérable pour que le plus grand nombre des riches ait accès à la direction et aux honneurs de l’État.


Concludo itaque, communia illa pacis vitia, de quibus hic loquimur, nunquam directe, sed indirecte prohibenda esse, talia scilicet imperii fundamenta iaciendo, quibus fiat, ut plerique, non quidem sapienter vivere studeant (nam hoc impossibile est), sed ut iis ducantur affectibus, ex quibus reipublicae maior sit utilitas. Atque adeo huic rei maxime studendum, ut divites si non parci, avari tamen sint. Nam non dubium est, quin, si hic avaritiae affectus, qui universalis est et constans, gloriae cupidine foveatur, plerique rei suae sine ignominia augendae summum ponant studium, quo honores adipiscantur et summum dedecus vitent.

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