EIII - Définitions des affects - 01

  • 20 mai 2004

Le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection quelconque donnée en elle.

EXPLICATION

Nous avons dit plus haut, dans le Scolie de la Proposition 9, que le Désir est l’appétit avec conscience de lui-même ; et que l’appétit est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est déterminée à faire les choses servant à sa conservation. Mais j’ai fait observer dans ce même Scolie que je ne reconnais, en réalité, aucune différence entre l’appétit de l’homme et le Désir. Que l’homme, en effet, ait ou n’ait pas conscience de son appétit, cet appétit n’en demeure pas moins le même ; et ainsi, pour ne pas avoir l’air de faire une tautologie, je n’ai pas voulu expliquer le Désir par l’appétit, mais je me suis appliqué à le définir de façon à y comprendre tous les efforts de la nature humaine que nous désignons par les mots d’appétit, de volonté, de désir, ou d’impulsion. Je pouvais dire que le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose, mais il ne suivrait pas de cette définition (Prop. 23, p. II) que l’Âme pût avoir conscience de son Désir ou de son appétit. Donc, pour que la cause de cette conscience fût enveloppée dans ma définition, il m’a été nécessaire (même Prop.) d’ajouter, en tant qu’elle est déterminée par une affection quelconque donnée en elle, etc. Car par une affection de l’essence de l’homme, nous entendons toute disposition de cette essence, qu’elle soit innée ou acquise, qu’elle se conçoive par le seul attribut de la Pensée ou par le seul attribut de l’Étendue, ou enfin se rapporte à la fois aux deux. J’entends donc par le mot de Désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l’homme, lesquels varient suivant la disposition variable d’un même homme et s’opposent si bien les uns aux autres que l’homme est traîné en divers sens et ne sait où se tourner. [*]


Cupiditas est ipsa hominis essentia quatenus ex data quacunque ejus affectione determinata concipitur ad aliquid agendum.

EXPLICATIO :

Diximus supra in scholio propositionis 9 hujus partis cupiditatem esse appetitum cum ejusdem conscientia ; appetitum autem esse ipsam hominis essentiam quatenus determinata est ad ea agendum quæ ipsius conservationi inserviunt. Sed in eodem scholio etiam monui me revera inter humanum appetitum et cupiditatem nullam agnoscere differentiam. Nam sive homo sui appetitus sit conscius sive non sit, manet tamen appetitus unus idemque atque adeo ne tautologiam committere viderer, cupiditatem per appetitum explicare nolui sed eandem ita definire studui ut omnes humanæ naturæ conatus quos nomine appetitus, voluntatis, cupiditatis vel impetus significamus, una comprehenderem. Potueram enim dicere cupiditatem esse ipsam hominis essentiam quatenus determinata concipitur ad aliquid agendum sed ex hac definitione (per propositionem 23 partis II) non sequeretur quod mens possit suæ cupiditatis sive appetitus esse conscia. Igitur ut hujus conscientiæ causam involverem, necesse fuit (per eandem propositionem) addere "quatenus ex data quacunque ejus affectione determinata etc.". Nam per affectionem humanæ essentiæ quamcunque ejusdem essentiæ constitutionem intelligimus, sive ea sit innata sive quod ipsa per solum cogitationis sive per solum extensionis attributum concipiatur sive denique quod ad utrumque simul referatur. Hic igitur cupiditatis nomine intelligo hominis quoscunque conatus, impetus, appetitus et volitiones, qui pro varia ejusdem hominis constitutione varii et non raro adeo sibi invicem oppositi sunt ut homo diversimode trahatur et quo se vertat, nesciat.


[*(Saisset :) Le désir, c’est l’essence même de l’homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à quelque action par une de ses affections quelconque. Explication Nous avons dit plus haut, dans le Scolie de la propos. 9, que le désir, c’est l’appétit avec conscience de lui-même, et que l’appétit, c’est l’essence même de l’homme, en tant que déterminée aux actions qui servent à sa conservation. Mais nous avons eu soin d’avertir dans ce même Scolie que nous ne reconnaissions aucune différence entre l’appétit humain et le désir. Que l’homme, en effet, ait ou non conscience de son appétit, cet appétit reste une seule et même chose ; et c’est pour cela que je n’ai pas voulu, craignant de paraître tomber dans une tautologie, expliquer le désir par l’appétit ; je me suis appliqué, au contraire, à le définir de telle sorte que tous les efforts de la nature humaine que nous appelons appétit, volonté, désir, mouvement spontané, fussent compris ensemble dans une seule définition. J’aurais pu dire, en effet, que le désir, c’est l’essence même de l’homme en tant qu’on la conçoit comme déterminée à quelque action ; mais de cette définition il ne résulterait pas (par la Propos. 23) que l’âme pût avoir conscience de son désir et de son appétit. C’est pourquoi, afin d’envelopper dans ma définition la cause de cette conscience que nous avons de nos désirs, il a été nécessaire (par la même Propos.) d’ajouter : en tant qu’elle est déterminée par une de ses affections quelconque, etc. En effet, par une affection de l’essence de l’homme, nous entendons un état quelconque de cette même essence, soit inné, soit conçu par son rapport au seul attribut de la pensée, ou par son rapport au seul attribut de l’étendue, soit enfin rapporté à la fois à l’un et l’autre de ces attributs. J’entendrai donc, par le mot désir, tous les efforts, mouvements, appétits, volitions qui varient avec les divers états d’un même homme, et souvent sont si opposés les uns aux autres que l’homme, tiré en mille sens divers, ne sait plus quelle direction il doit suivre.

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